C’est avec l’autorisation de Paul Walsh que je publie une traduction de son excellent article sur Goto Izumi, une figure d’Hiroshima, qu’il a écrit dans le n°9 du magazine GetHiroshima et dont Izumi fait la couverture. Les photos sont de Junpei Ishida et Murasaki.
J’avais l’intention d’interviewer Izumi et d’en faire un article depuis longtemps, mais Paul, qui la connaît bien, m’a devancée, et comme son article m’a plu et que je ne pense pas faire mieux..
Titre original : Hiroshima’s Bohemian Queen Goto Izumi
Je me trouvais dans un festival, assoupi, vaguement lassé après 2 jours à écouter des reprises de Bob Marley quand je fus soudain extirpé de ma tente par une voix aigüe et enfantine, soutenue par la plus simple des percussions et une basse bien lourde. Je suis immédiatement devenu raide dingue du trio déjanté de Goto Izumi : Nekomushi. Les évènements s’enchainant, un an plus tard, c’est moi qui tenais la basse accompagnant Izumi.
Vêtue d’un juban et brandissant son fidèle accordéon tel une arme, Goto Izumi a fait le tour du Japon, avec son show théâtral, largement inspiré des pièces de Shūji Terayama et des mangas ero-guro (érotico-grotesque) d’artistes tels que Suehiro Maruo.
Mais à notre retour du festival SXSW (Texas), en 2007, elle a raccroché. C’était la fin de Nekomushi. Pour Goto Izumi, cependant, tout ne faisait que réellement commencer.
10 ans se sont écoulés depuis, et Goto Izumi est aujourd’hui considérée comme la reine incontestée de l’avant-garde d’Hiroshima, une communauté étroitement soudée. C’est en février dernier, à l’occasion du 8ème anniversaire d‘Organ-za, son café concert, qu’elle nous a simultanément livré ses 8ème et 9ème albums solos. En 8 ans, elle a réussi à prendre le contrôle de tout le bâtiment où se trouve son café, créant ainsi un havre de paix pour tous ceux qui comme elle, naviguent en dehors du courant mainstream et conservateur d’Hiroshima.
Lorsqu’elle se présente à des gens pour la première fois, Izumi se contente souvent de dire quelque chose comme « Oh, je trace mon petit chemin de musicienne tout en faisant tourner un café », mais en réalité, elle est aussi écrivaine, organisatrice et animatrice de soirées. Elle s’est un peu frottée au monde du cinéma, anime sa propre émission de radio et vient aussi récemment de se lancer dans le monde du spectacle Burlesque. Et bien sûr, elle est aussi notre correspondante pour la rubrique « Deep Hiroshima » dans le magazine GetHiroshima.
Bon, pour elle, en quoi consiste tout cela ?
A la base, mon truc, c’est juste rester créative en permanence. La musique, la restauration, le cabaret, l’écriture, les films, c’est la même chose pour moi ! Cela consiste à produire continuellement des chose qui divertissent les gens.
A l’époque de Nekomushi, je me souviens avoir été constamment impressionné par la conscience professionnelle d’Izumi. Que l’on joue devant une salle pleine à craquer ou seulement devant une poignée de gens, elle insistait pour que chaque représentation soit différente et ne supportait pas l’idée qu’un spectateur ayant payé sa place, puisse voir quelque chose qu’elle ait déjà fait. « En fait, j’ai fini par accepter l’idée que si tu as créé quelque chose qui plaît au public, il n’y a rien de mal à le lui offrir une seconde fois. Voilà, en vieillissant je suis devenue une artiste capable de jouer le même spectacle deux fois! » explique-t-elle aujourd’hui en riant. « J’étais sans aucun doute plus extrême et sans compromis à mes débuts. Tout devait sans arrêt être complètement nouveau et poussé à son maximum. Ça ne me dérangeait pas que seuls ceux qui aient « capté » soient capables d’apprécier mon spectacle. Je suis un peu plus pragmatique aujourd’hui. »
Cela voudrait-il dire qu’elle se définit comme une entertaineuse plus qu’une artiste ?
« Totalement ! Je me soucie bien trop que les gens comprennent ce que je fais. Je ne fais que des choses que j’ai envie de faire et selon mes propres conditions, mais j’ai vraiment envie de divertir un public large. J’envisage toutes mes créations, peu importe à quel point elles sont barrées, comme des produits de divertissements et si le public ne comprend rien au spectacle et n’accroche pas, alors je considère que j’ai échoué quelque part. »
J’ai envie de savoir comment sa musique a évolué au fil de ses 9 albums. « Je dirais que ma musique est aujourd’hui plus accessible. J’ai sans doute perdu en route quelques uns de mes fans hardcores de la première heure, mais en même temps, j’arrive à toucher maintenant un public plus large. Ceci-dit, ça reste du Goto Izumi, et j’espère que ça suffit à rendre mes chansons un peu à part ».
En effet, les chansons de son dernier album Hajime kara nai hazu no shiawase ongaku (初めから無いはずの幸せおんがく), oscillent entre des ambiances entrainantes et d’autres plus nostalgiques, mais elles sont toujours emplies de cette mélancolie et de cet humour noir qui la caractérisent. La voix, bien que toujours très clairement Goto Izumi, est néanmoins plus assurée, plus en accord avec le timbre antique de accordéon qui l’accompagne.
Depuis sa première apparition au SXSW en 2007, Izumi a énormément tourné à l’étranger. Malgré la barrière du langage, elle a toujours réussi à fasciner les foules n’importe où dans le monde et je l’ai vu mettre des gens en larme. Elle pense que cela tient à son désir intense de tout donner au public pour le divertir. « Si tu t’appliques à faire passer tes émotions, que ce soit à travers ta voix, ta musique, ta manière de bouger ou d’apparaître, le public te le rendra et il se créera une connexion. »
Passons maintenant à Organ-za.
Dès l’âge de 20 ans, Izumi a toujours rêvé de posséder son propre lieu, et tout au long de sa carrière au sein de Nekomushi, elle n’a cessé de s’y préparer, d’apprendre, et d’économiser dans ce but. « J’avais envie de créer le genre d’espace où j’ai moi-même envie de jouer et où je pourrais aussi accueillir d’autres artistes. Un genre de lieu qui justement n’existait pas encore à Hiroshima. J’ai joué de la musique pendant des années et me suis aussi fait la main en travaillant dans tout un tas de bars et de restaurants, c’était donc logique pour moi de faire quelque chose de toute cette expérience. Organ-za, c’est à la fois un café, un bar, un restaurant, une salle de concert, un théâtre et même une sorte d’espace communautaire. C’est toutes ces choses à la fois, et c’est très bien comme ça. C’est tout à fait moi. Je ne suis ni vraiment musicienne professionnelle, ni vraiment gérante de restau professionnelle, en revanche, je suis capable combiner tout ça pour en faire quelque chose. C’est ça mon réel talent. »
Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas occuper l’intégralité du bâtiment avec un café donnant sur la rue, au-dessous d’Organ-za, un espace supplémentaire pour les concerts et spectacles à l’étage au-dessus et même une galerie ? « Ça faisait partie du plan » dit-elle avec un clin d’œil. (Vous pouvez lire le PDF de l’article consacré à son lieu ici)
C’est lors du 4ème anniversaire d’Organ-za qu’Izumi a collaboré pour la première fois avec Cherry Typhoon, la performeuse burlesque tokyoïte. Cette rencontre, plus ou moins imprévue, a convaincu Izumi de mettre un pied un peu en hors du monde du cabaret pour s’immiscer dans celui du Burlesque.
C’est ainsi qu’elle a pris part au « Burlesque Ninja Show » de Cherry Typhoon, acclamé au Montreal Fringe Festival en 2014, et elles envisagent actuellement d’adapter « Murder Mistery », un spectacle de Goto Izumi, écrit par Cherry Typhoon, pour des représentations à l’étranger. L’excitation de Goto Izumi, lorsqu’elle parle de ces collaborations, est vraiment palpable, elle est clairement électrisée par le défi que représente l’idée de travailler avec quelqu’un d’aussi talentueux.
A force d’entendre parler de la scène burlesque et de son histoire, j’ai vraiment eu envie de m’y impliquer. J’aime l’idée que cela soit sexy mais pas fait simplement dans le but de titiller les hommes, que ce soit ouvert à des femmes aux physiques extrêmement variés. Quand je suis allée à Montréal, j’ai eu l’impression que toutes les femmes que je rencontrais faisaient du Burlesque à leurs heures perdues ! A Organ-za, pour ce type de spectacle, le public est composé d’environ 60% de femmes et elles semblent vraiment apprécier.
J’ai eut aussi envie de lui demander comment elle trouvait le temps de faire tout ça. Son agenda est un bordel de rendez-vous, obligations et projets, et elle ne semble pas prendre un seul jour de repos. D’où lui vient cette énergie sérieusement ?
Je n’ai pas de « hobby » ou de truc dans ce genre, je n’ai pas besoin de jour de congé ni de vacances. J’arrive à vivre en faisant uniquement des choses que j’ai envie de faire la plupart de mon temps, c’est-çà-dire mon travail. J’ai tellement toujours de trucs à faire ! C’est incroyable, mais ce ne sont que des choses que j’aime faire, que j’ai envie de faire. Ça me tue parfois que les gens ne travaillent pas plus : Pourquoi faudrait-il faire les choses qu’on aime seulement pendant son temps de repos alors qu’on peut les faire pendant son temps de travail ?
Ce mois-ci, Izumi a organisé un « Deep Hiroshima ranking » : elle a demandé aux gens d’Hiroshima souhaitant participer de leur proposer leur lieu le plus « deep » et c’est moi qui ai gagné !! Avec le snack-bar karaoké « Chante ! » dont je parlais dans cet article.
Site officiel de Goto Izumi : http://gotoizumi.net/
Organ-za (ヲルガン座) : 4-32 Tokaichi-machi 1chome, Naka-ku
Tél : 082-295-1553
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