Petit update à la fin avec quelques infos intéressantes et adresses pour la communauté gay.
Je vous avais déjà dit que les Nakamura étaient un couple japonais adorable dans cet article, mais ils sont encore plus que ça. Samedi soir, ils m’ont invité à passer la soirée ensemble et j’avais également invité Malachy, un ami irlandais. Au programme sushis et karaoké chez Madame, un amoureux de la chanson française. Oui ce sont de bons vivants, ils ferment leur izakaya tous les dimanches et le 2ème samedi du mois, pour « aller s’amuser à Nagarekawa » (le quartier nocturne d’Hiroshima). Ce sont des gens très mondains, ils ont énormément d’amis (de tout âge, sexe et statut social), organisent tous les mois une compétition de karaoké dans un bar de Yokogawa, avec une after-party chez eux (!), etc.
Alors les photos ne sont pas terribles, la plupart prises avec l’iPhone à l’arrache, parce que je n’étais pas sortie dans l’idée d’écrire un article (j’en ai reprises cette année en 2016 et les ai ajoutées).
Ils nous ont donc emmené manger chez Sushi-ken à Hakushima. Mr Nakamura est un bavard incroyable. Il aime parler de tout, de la Corée (où ils partent en voyage au minimum une fois par an), de films américains ou de vieux films français qu’il adore et regarde tout l’après-midi avant d’aller travailler. Le repas était ponctué des remarques de sa femme « Et papa, au lieu de parler, tu veux pas attraper le plat de tempura qui vient d’arriver ? », « Bon tu causes, tu causes, mais tu m’as toujours pas resservie, j’ai soif ! ».
Mr Nakamura a travaillé toute sa vie dans la finance, et lorsqu’il a atteint l’âge de la retraite, a décidé de se lancer dans la restauration avec sa femme. C’est ainsi qu’ils ont ouvert l’Izakaya Rojiura, à Yokogawa, il y a environ 3 ans.
Lorsqu’est venue l’addition Mr * Nakamura a sorti son portefeuille et Malachy s’est aussi précipité sur le sien. Évidemment (tel qu’on s’y attendait), Mr Nakamura a fait de grands gestes en criant « non ! non ! non ! c’est moi qui vous invite ! ». Scène classique, mais il revenu dessus un peu plus tard.
Il nous a dit qu’il avait apprécié le geste. Le moment de l’addition, quand on sait plus ou moins qu’on est invité est toujours embarrassant, délicat pour beaucoup de personnes. Que faire ? Attendre que la personne qui vous a invité paie sans rien dire, faire semblant de sortir son portefeuille pour payer comme si on ne se doutait de rien au risque de paraître hypocrite ?
(*avant que qui que ce soit vienne me faire la morale à propos de ça, oui je sais qu’en français l’abréviation de Monsieur s’écrit normalement M. si l’on suit les règles et que Mr c’est pour Mister en anglais, mais je choisis délibérément « d’abrévier » (j’invente même des mots si ça me chante) Monsieur en Mr parce que je préfère, je trouve ça plus esthétique. Pis sinon, j’ai un peu l’impression de lire Michel Nakamura…)
J’ai vraiment apprécié ! C’est exactement comme ça qu’il faut faire ! De nos jours, les jeunes n’ont plus de manières, tu les emmènes au resto et au moment de payer, ils restent là, comme des cons, le regard dans le vide, faignant de pas avoir vu que l’addition arrivait, parce que pour eux ça va de soit que c’est papy qui régale. Quand on sort entre salarymen, à la fin chacun sort son portefeuille et se bat pour payer, ça fait partie du jeu, c’est juste pour le 形 katachi (la forme) mais c’est important, même si on sait à l’avance le quel d’entre nous va payer. À l’époque si on sortait avec une fille, ça allait de soi qu’on régalait, mais maintenant c’est marrant, je vois des couples venir dans mon resto et à la fin ils pratiquent le 割り勘 warikan (partage d’addition), c’est peut-être pas si mal en même-temps ? En Corée, le warikan n’existe même pas, si on sort à plusieurs, une seule personne paie pour les autres.
Belle leçon de tatemae, un concept assez difficile à appréhender pour les non-japonais et souvent assimilé (à mon avis à tort) à de l’hypocrisie. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais un rappel pour ceux qui ne le sauraient pas, au Japon, les relations sociales sont basées sur le 建前 tatemae (ce que je montre aux autres, littéralement « ce que je construis en face des autres ») / 本音 honne (mon vrai moi que je ne montre qu’à ma famille où aux gens que je considère comme très proches, mes vraies opinions, mes vraies intentions, mes vraies émotions).
Concept qui va de paire avec 外 soto (extérieur, les gens extérieurs à votre groupe, ceux avec qui vous vous exprimez en tatemae, donc avec pudeur) et 内 uchi (intérieur, les gens qui font parti de votre cercle intime, ceux avec lesquels vous pouvez vous lâcher et montrer votre honne dans toute sa splendeur).
Pas vraiment d’hypocrisie selon moi puisque tout le monde est au courant, tout le monde joue le jeu et s’attend à ce qu’en face les autres jouent le jeu aussi. Ce qui ne veut pas dire que tout fonctionne comme dans le meilleur des mondes, il arrive que les Japonais eux-mêmes s’y perdent un peu. Vous pourrez parfois entendre un Japonais se confier à un autre, raconter une histoire et l’autre lui dire « ha.. ouai laisse tomber, c’était du tatemae ».
Je vais vous donner un exemple concret. Si vous allez dans un magasin ou une administration au Japon et que l’employé doit aller chercher quelque chose pour vous, vous le verrez courir – sur place en réalité, sans aller plus vite qu’en marchant – mais ce sera pour vous montrer qu’il se dépêche et fait des efforts pour vous servir. Vous allez me dire « quel intérêt ? » : aucun, mais s’il ne le fait pas, le client aura un peu l’impression qu’on se fout de sa gueule, qu’on n’y met pas les formes. En même temps lorsque vous dites « Bonjour » ou « Merci », ça n’apporte rien de particulier non plus, mais si vous ne le faites pas, la personne en face va très certainement l’interpréter comme du mépris. Ce sont des codes, les faire n’apporte rien, mais ne pas les faire a en revanche une signification, en gros « Je ne te respecte pas ».
Ils nous ont ensuite emmené à Chante !, un snack-bar karaoké de Nagarekawa tenu par un travesti surnommé « Madame » (en français, oui). Mais il aime se présenter ainsi « Je m’appelle Sadam, …. Hussein » (son vrai prénom est Sadamu). C’est un personnage étonnant qui a vécu à San Francisco et dans le Quartier Latin à Paris. Un homme charmant, très accueillant, qui parle assez bien anglais, et même un peu français et thaï !
Ça peut vous étonner qu’ils nous ai emmené dans un bar de ce genre…
Je ne vais pas trop m’étendre sur le sujet parce que je ne pense avoir suffisamment de sources ni de vue d’ensemble, mais seulement vous donner ma vision des choses sur la place de la communauté LGBT au Japon. C’est assez singulier, il me semble. Cette communauté est beaucoup plus représentée dans le show business et a la télé qu’en France. Les lesbiennes semblent ne pas exister en revanche, mais les homosexuels et transsexuels célèbres sont nombreux. Miwa (sa page Wikipédia), Ikko-san sont souvent présents dans les talk shows. Ça ne dérange personne qu’Ikko-san ou un transsexuel soit l’égérie d’une marque de cosmétiques pour femme. Dans la vie de tous les jours en revanche, c’est un peu différent. On ne peut pas vraiment parler d’homophobie – les homosexuels ne sont pas bannis ni insultés – mais plutôt d’une profonde méconnaissance. C’est un sujet dont on rigole, ce sont des clowns, des gens pas très sérieux (ce qui n’est pas forcément plus agréable pour eux j’imagine). Pour le Japonais lambda, l’homosexualité n’est pas une nature mais un choix de vie (bon, en France on a pu voir récemment qu’il y avait aussi toujours beaucoup de gens qui pensaient comme ça) et beaucoup sont persuadés qu' »il y en a plus à l’étranger ». Et cela transparait jusque dans le vocabulaire : pour parler des homosexuels, les Japonais emploient souvent le mot Okama.
Un peu d’étymologie. Le mot okama date de l’époque Edo, c’était un mot du langage parlé désignant l’anus. Petit à petit, le mot a pris un sens de plus en plus péjoratif : ça a commencé à désigner la sexualité anale puis aussi les hommes travestis et prostitués (aussi bien homosexuels qu’hétéros).
A la base o-kama, veut seulement dire « marmite », c’est de la ressemblance entre le fond rond de la marmite que s’est créée l’analogie. Il semblerait aussi y avoir un rapport avec les acteurs de Kabuki jouant des rôles féminins que l’on appelle 陰間 o-gema.
La vraie signification qu’a pris le mot aujourd’hui est « efféminé, travesti en femme ». Mais c’est aussi le mot que la plupart des Japonais emploient pour désigner les homosexuels, même s’ils ont un look et une attitude masculines. Il y a donc bien confusion pour eux, un homosexuel n’étant pas forcément efféminé.
Toujours est-il que ce fameux Japonais lambda aime les okama. Ils aiment les voir dans leurs émissions préférées à la télé, mais aussi aller voir leurs spectacles ou aller dans leurs bars. C’est un divertissement tout à fait commun et acceptable au Japon que d’aller dans un bar à okama même si l’on est un vieux couple hétéro. Vous me direz, les vieux vont bien chez Michou à Paris !
C’est pour cette raison que je disais qu’au Japon, les homosexuels ont un peu un rôle de clown ou de bouffon.
Dans la vie de tous les jours, c’est moins drôle, avouer son homosexualité n’est pas facile, nombreux sont ceux qui choisissent de se marier avec une femme et avoir des enfants, pour rentrer dans le moule de la société. Vivre ouvertement en couple homosexuel et habiter ensemble est encore quasiment impensable, et en dehors des grandes métropoles comme Tokyo, les lieux de rencontre sont peu nombreux. Il y a des bars, mais pas de club à Hiroshima, qui n’est pourtant pas une ville si petite. L’idée du mariage a été débattue l’année dernière, mais ils ont finalement penser que ce n’était pas une réforme indispensable ni nécessaire pour le moment.
Donc pour résumer, c’est un peu comme ce qu’il en est du racisme au Japon : personne ne viendra vous agresser ou vous dire « sale arabe » ou « sale pédé », on vous acceptera et on rigolera avec vous, mais ça ne veut pas dire que l’on comprendra ce que vous êtes ni qu’on n’aura pas d’idées pré-conçues à votre sujet. (Bon, il y a eut des épisodes plus violents à l’encontre des Coréens, tels que des manifestations assez agressives dans certains quartiers de Tokyo, mais ça reste assez rare).
Le sujet se rapproche à mon avis de comment les différentes religions sont acceptées au Japon, et comment les personnes suivant une religion différente des religions autochtones sont intégrées au Japon, à lire dans cet article.
Je vais faire tomber un mythe mais contrairement à ce que tout le monde croit, Mireille Mathieu n’est pas aussi connue qu’on le dit au Japon. Les Français les plus connus sont Alain Delon et Sylvie Vartan suivis de près par Catherine Deneuve, Brigitte Bardot (et encore, plutôt pour les Japonais qui ont maintenant entre 60 et 70 ans). Ensuite, plus récemment Jean Reno. Et pour les gens plus pointus en matière de culture française : Belmondo, France Gall, Serge Gainsbourg, Edith Piaf et Adamo. Yelle semble aussi avoir son petit succès ici. Bon après vous trouverez aussi des fans de Rita Mitsouka, Mathieu Boogaerts ou même d’artistes que vous-mêmes ne connaissez pas mais ça reste des exceptions.
Je ne pourrai pas me permettre d’en faire une généralité, mais la plupart des homosexuels japonais que j’ai rencontrés sont fans de culture française (et il n’est pas rare que les bars gays aient un nom français).
Et quand personne n’utilise le karaoké, il chante lui-même des chansons de Charles Trénet (La Mer) ou d’Yves Montand (Les feuilles mortes) dont il connait les paroles par cœur, ou met de l’accordéon en musique de fond. (J’essaierai de poster une vidéo si ma connexion internet de niveau modem 56k me le permet.. voilà, c’est fait)
Là on était en train de chanter ce vieux morceau, un duo chanté par un couple. (dans lequel la femme dit à l’homme que si elle a trop bu c’est à cause de lui…)
Le bar est super mignon, un vrai petit musée dédié à la chanson française.
Et après le karaoké, les Nakamura nous ont quitté en se faisant des bisous dans la rue, c’était trop mignon.
Il nous avait prévenu au début du repas:
Moi dans mon couple, je fais comme les Américains, je continue à dire à ma femme qu’elle est belle, que je l’aime et je lui fais des bisous.
Les adresses :
すし建 Sushi-ken
Highrise Watanabe 1F, 9-1 Higashi-Hakushima-cho, Naka-ku, Hiroshima, Tél : 082-224-3837
シャンテ Chante!
Hachiban Machi Bldg 1F, 5-12, Nagarekawa-cho, Naka-ku, Hiroshima, Tél : 082-245-8766
Des petits pas en avant vers l’acceptation des homosexuels au Japon.
Un temple bouddhiste qui célèbre des mariages homosexuels à Kyoto.
La mairie de Shibuya propose une sorte de pacs pour les couples gays.
Je vois le Japon comme un pays assez pragmatique (et très laïque en plus : toutes les religions, même les sectes les plus farfelues y sont acceptées mais ça n’entrave pas les décisions politiques) donc même si les avancées sont encore timides, j’ai vraiment confiance en l’arrivée d’une acceptation de la communauté gay et l’égalisation de leurs droits avec ceux des hétérosexuels dans l’avenir.
Si vous venez à Hiroshima, des lieux LGBT où sortir :
Le bar gay Gout-Temps (soirée lesbienne le dernier dimanche du mois), le patron est un gros nounours adorable.
www.gout-temps.net
3-4 Ebisu-cho, Tsuda Bldg 4F, Naka-ku, Hiroshima – Tél : 082-247-8624
L’immeuble bar / resto / salle de spectacle d’Izumi Goto Organ-za, accueille de nombreuses soirées burlesques et organise occasionnellement des soirées homo / lesbienne. Vous pouvez (en principe) lui envoyer un mail en anglais (anglais simple) via son site pour plus d’infos sur les dates.
www.organ-za.com
Morimoto Bldg, 4-32 Tokaichi-machi 1 chome, Naka-ku, Hiroshima – Tél : 082-231-9865
Plus de lieux ici, ou ici (en japonais) mais je ne les connais pas personnellement.
David
novembre 12, 2014
Ah ! Bien content que tu te sois remise à écrire.
J’adore comment tu nous fais découvrir ces parties du Japon, ignorées de la plupart et pourtant si fascinantes.
Judith Cotelle
novembre 13, 2014
Merci ça fait plaisir !
Ca me manquait vraiment d’écrire pour être honnête. Mais je pense que le break (3 ans quand même !) était nécessaire.
J’avais arrêté l’ancien blog pour plusieurs raisons : appareil photo cassé et nouvel appareil de trop mauvaise qualité, nouvel emploi à plein temps et donc moins de temps à y consacrer, la plateforme de blog que j’utilisais à l’époque était vraiment merdique et le design du blog affreux, et puis une certaine lassitude aussi faut l’avouer. (J’avais cependant acheté le nom de domaine de ce blog il y a 2 ans dans l’idée d’en refaire un nouveau)
Et là, ce qui a été le déclencheur, ça a été l’achat d’un nouvel appareil photo, et le fait d’avoir écrit 2 articles (en anglais et pour du papier) qui paraîtront en Décembre sur GetHiroshima mag.
D’ailleurs pendant cette période de break, je n’ai plus lu aucun blog sur le Japon, mais je vais m’y remettre 😉
Mohamed
novembre 13, 2014
Je me cultive en te lisant, l’étymologie d’okama et le petit succès de Yelle (Cest bizarre, mais j’aime beaucoup, je vais la voir à la Cigale en février).
Bises de Paris
Judith Cotelle
novembre 13, 2014
Ben j’ai souvent vu ses CD bien en évidence dans les bacs dans les magasins de disques ici, et elle est passée y a pas longtemps chez Ardisson, dans la rubrique « t’es qui toi ? », elle semblait dire qu’elle marchait à fond à l’étranger, mais absolument pas en France. Je ne connais pas vraiment personnellement.
Mohamed
novembre 16, 2014
J ai vu sur youtube un concert qu’elle a fait en Australie où tout le monde était à bloc avec t-shirts Yelle et tout!… A première écoute, c’est bizarre, mais c’est hypnotique. J’écoute en boucle certaines pistes (et au fait merci pour avoir repris le blog, c’est cool)
Laure
mai 14, 2016
J’ai expérimenté ça quand j’étais à Tokyo pendant 2 semaines. Je me promenais à Asakusa, et un couple de personnes agées est venu me parler parce qu’ils étaient assez fascinés par les étrangers en quelque sorte. On a discuté très longtemps et à la fin ils ont tenu à m’acheter des cadeaux devant Asakusa. Je suis de nature assez timide lorsqu’il s’agit de cadeaux je me sens très redevable haha. Et du coup malgrè le fait que je leur disais non, ils insistaient énormément. Je ne sais pas vraiment avec les Japonais comment faire, si l’on doit accepté sans trop insister ou s’il faut vraiment insister au point d’être assez énervant ( de mon point de vue haha ). Du coup, je trouve cet article très pertinent, ça explique plutôt bien comment les Japonais le voient. Merci beaucoup !