Pour ce 2ème article de mon dossier sur la scène Reggae d’Hiroshima, nous allons nous intéresser au milieu Dancehall et pour cela j’ai rencontré Doggy-T à Centre Point où il m’a raconté des anecdotes sur ses voyages en Jamaïque, le fonctionnement de la production de dubplates ou encore le déroulement des fameux sound clashes. Si vous avez loupé la 1ère partie de ce dossier sur le Roots Reggae avec Big Stone, c’est ici.
Doggy-T de PROGRESS / Dancehall et Sound clash
PROGRESS s’est formé peu après Big Stone, en 1994. Des 8 membres du départ, il en reste aujourd’hui 2 : son fondateur Doggy-T (MC, Selector, organisateur – Takeyuki Fujioka – 41 ans) et Key-Rock (Kenji Hagaki – 39 ans).
Plutôt influencés par des artistes comme Sizzla ou des labels comme Jammy’s, l’ambiance et le public des soirées Progress sont assez différents de celles de Big Stone. Ils organisent de nombreux évènements dans des clubs comme Mugen ou Chinatown ou bien encore en plein air, à la Dolphin Beach de Fukuyama, avec un sound system qu’ils ont construit de A à Z, pas énorme selon Doggy-T mais très puissant, et ont accueilli des artistes comme Buju Banton, Terry Linen, David Rodigan…
Doggy-T est également résident des soirées Easy Skanking Tuesday qui ont lieu les mardis soirs à Centre Point. Il joue aussi fréquemment en dehors d’Hiroshima : Okayama, Osaka, Kyushu..
Doggy-T : « C’est des potes un peu plus âgés qui m’ont fait découvrir le Reggae vers l’âge de 18 ans et c’était la première musique qui me fasse vraiment tripper, je suis rentré directement à fond dedans. J’allais aux soirées organisées par Big Stone, ils ont été une influence majeure pour moi, j’ai tout appris d’eux, c’est comme ça qu’est née l’envie de créer mon propre sound system.
On s’est dit qu’on progresserait petit à petit et qu’on trouverait un nom plus tard et finalement on appelé ça Progress puisque ça correspondait à notre démarche. »
La scène Reggae Dancehall à Hiroshima
Comment a évolué la scène Reggae ou plus particulièrement Dancehall d’Hiroshima depuis l’époque où tu as commencé ?
« Ben au début, il n’y avait rien du tout, donc on a du tout créer nous-mêmes. Beaucoup de gens se sont lancés dans l’aventure, y a eut un véritable boom. Je pense qu’on a atteint le pic vers 2006 et depuis ça s’est un peu calmé mais les gens les plus investis sont toujours là.
Les gens comme Big Stone, pour qui j’ai vraiment du respect ou comme Dribbla parmi les plus jeunes.
Et il reste quelque chose de positif de tout ça, aujourd’hui le Reggae est une musique « normale », populaire. Ca ne surprend personne d’entendre du Reggae dans un café, un resto ou une boutique, alors qu’au départ c’était un genre totalement inconnu. »
Où est-ce que ça bouge le plus selon toi au Japon ?
« Osaka ! (C’est également ce que m’avaient répondu Big Stone) En plus je trouve qu’il y a vraiment des similitudes entre la Jamaïque et Osaka. Y a la même énergie, le Kansai-ben (dialect d’Osaka) est un peu au japonais ce que le patois jamaïcain est à l’anglais. Les gens d’Osaka sont particuliers, ils sont à la fois très speeds et très relax, ils parlent facilement au gens, donc d’une certaine manière ils me font un peu penser aux Jamaïcains. »
C’est aussi à Osaka, à Rockers Island, qu’il achète une bonne partie de ses disques.
Les voyages en Jamaïque
Justement, comme les gars de Big Stone, tu as fait pas mal de voyages en Jamaïque, racontes-nous un peu.
« Oui, j’y ai été 3 fois. La première fois, j’avais 21 ans, donc c’était y a pile 20 ans, je suis parti rejoindre un pote qui était déjà sur place : Doikel. Je me souviens encore l’arrivée à l’aéroport, avec tous ces gens au rond-point accoudés à la balustrade qui te matent et semblent juste passer la journée à regarder les gens descendre de l’avion. Puis le trajet sur les routes toutes cabossées jusqu’à l’hôtel avec des chèvres au milieu de la route.
Tout le monde te parle dans la rue. Y avait un mec me collait pour me proposer ses services, il voulait savoir si j’avais pas besoin d’aide, je lui dis que ça va mais il insiste, il insiste, ça dure des plombes, au bout d’un moment il finit par lâcher l’affaire mais là, l’hallu ! c’est lui qui me demande de lui rembourser les 30 minutes que je lui ai fait perdre ! »
Tu n’as pas eut trop de mal à communiquer là-bas ?
« Ben j’ai étudié un peu le patois et puis avec un dico dans la poche, on s’en sort. »
(Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai posé cette question à Big Stone et à Doggy-T, mais les Japonais qui se débrouillent en anglais ne sont pas si nombreux que ça et devoir parler en anglais est souvent une énorme source d’inquiétude pour eux lorsqu’ils songent à voyager hors de leurs frontières. Ils ont un certain complexe, un manque total de confiance par rapport à ça. Nombreux sont les Japonais qui préfèrent suivre les sentiers battus en tours organisés, alors partir à l’arrache dans un pays comme la Jamaïque, ça paraît carrément téméraire de la part de Japonais !)
Ca a la réputation d’être assez dangereux, tu t’es senti comment là-bas ? (surtout venant d’un pays aussi safe que le Japon)
« Parfois tu croises des gamins avec un couteau dans la poche. C’est vrai que ça a l’air un peu dangereux mais personnellement j’ai jamais eut aucun souci. J’ai des potes qui étaient moins rassurés que moi ceci-dit.
Parfois tu marches dans la rue, puis tu tombes sur un sound system, y a une super ambiance, les gens dansent puis tout à coup tu entends des coups de feu. Les gens regardent un peu autour d’eux si personne n’a été touché mais ils ont pas l’air si surpris que ça.
Bon je raconte ça, c’était y a 20 ans, les choses ont peut-être changé depuis. »
Les Dubplates
Qui as-tu rencontré pour faire des dubplates et comment ça se passe ?
« J’ai fait des dubplates avec Sizzla, Ninjaman, Pinchers et encore plein d’autres, je pourrais pas te faire la liste comme ça !
Y a plein de manières différentes de procéder : soit tu choisis un morceau précis et tu demandes au mec de placer telle phrase avec ton nom, de faire telle modification, soit tu lui fais confiance, tu lui laisses carte blanche. Les prix dépendent de l’artiste et du morceau choisi aussi. Ca peut aller de 100, 200$ à 2000$ voire plus, selon la renommée du mec.
Y aussi des artistes comme Super Cat, Jimmy Cliff, Bitty McLean par exemple qui refusent de faire des dubplates, mais parfois ils font des exceptions pour certains sound systems.
Par exemple les gars de Mighty Crown ont réussi à en enregistrer un avec Jimmy Cliff, c’est eux qui avaient créé l’instru. David Rodigan aussi, il a réussi à en obtenir un de Bitty McLean. Tout est question de respect mutuel, d’entente, ça ne dépend pas de la somme d’argent que tu leur proposes.
Moi le premier avec qui j’ai enregistré, c’était Ninjaman, avec les morceaux « Borderline » et « Wicked Sound ». En fait, on va en studio avec eux et ça dépend de leur disponibilité, de leur emploi du temps, même s’ils sont toujours en retard…
D’ailleurs un jour on devait enregistrer avec 2 artistes, le premier est arrivé à l’heure, mais on a attendu le deuxième plus d’une demi-heure. Quand il s’est finalement pointé au studio, le premier est reparti chez lui, pendant une demi-heure, juste pour faire chier. C’est tellement la Jamaïque ça !
De nos jours on n’enregistre plus guère sur disques d’acétate comme à l’époque, on fait tout en numérique, mais comme ça a son charme, certains restent attachés à l’acétate. »
Le sound clash
Peux-tu nous parler un peu des sound clashes aussi ?
On peut faire un sound clash avec 2, 3, 4 voire plus de participants. Soit avec des 45 tours, soit uniquement avec des dubplates, les règles peuvent varier. Les sound systems jouent l’un après l’autre et on regarde comment le public réagit, qui met le plus d’ambiance. On ne se bat pas qu’avec la musique mais aussi avec les mots sous forme de joute verbale, on essaie d’intimider les mecs d’en face.
Au départ, chacun joue alternativement 20 min, puis 15 min, puis 1 morceau et on procède par élimination. Même si un MC est là pour animer la soirée, c’est le public qui décide. Je ne suis encore jamais arrivé premier, mais j’aime quand même participer aux sound clashes, j’aime l’ambiance et puis ça permet d’avoir des retours du public ou des autres participants. »
Les champions du monde du sound clash sont japonais, c’est Mighty Crown. D’ailleurs, il y a une autre catégorie dans laquelle les Japonais et pour le coup, plutôt les Japonaises, se démarquent. C’est la Reggae Dance et la première danseuse non-jamaïcaine a avoir remporté le 1er prix dans une compétition en Jamaïque est Japonaise (Junko Kudo). La prochaine compétition de Dancehall Queen Setouchi aura lieu à Mugen le 28 Mars et est co-organisée par Progress. Plus d’info ici http://fiwi.asia/
Les productions Progress
Vous sortez des mix ou produisez de la musique vous mêmes ?
Oui, en 2008 on a sorti PROGRESS MIX Vol.1 composé à 100% de dubplates de reggae japonais.
http://diskunion.net/clubt/ct/detail/REGGAE-3996
http://www.riddimtaxi.com/product/96
Et j’ai aussi sorti un 45 tours sur le label Bass Kulcha (le label de Rankin Taxi) sur lequel je chante. Le morceau s’appelle 金魚のフン (Kingyo no fun, qui veut littéralement dire « crotte de poisson rouge » mais qui est une expression désignant les gens qui vous collent aux basques)
Vous pouvez en écouter un petit extrait ici :
http://www.reggaecollector.com/jp/detail/index.php?number=452810
Notre projet est de sortir un PROGRESS MIX Vol. 2.
Tu as une idée de la raison pour laquelle le Reggae a autant de succès au Japon ?
« Je pense que ce sont les mecs qui ont développé ce genre musical au Japon, comme Miki Dozan, qui ont contribué à son succès. Au Japon on importe plein de genres musicaux de l’étranger, il y a des modes, des vagues, et le reggae en a fait partie. Le reggae ça existe depuis longtemps, c’est fait de plein de sous-genres comme le Ska, le Rock Steady, le Dancehall, le Medium Tempo ou le Reggae Japonais, le Reggae Japonais lui-même est varié et a ses propres sous-catégories, donc il y en a pour tous les goûts. »
Un morceau que tu aimerais partager ? :
Beres Hammond – One Step Ahead
La soirée Reggae New Year Bash à Mugen (10 Janvier 2015)
JAM MASSIVE sont assez big à Hiroshima et ont aussi été vainqueurs de certains sound clash www.reggaesound.net/hiroshima/jam-massive.html
Lui je suis sûre qu’il a pas besoin de dire grand chose pour impressionner les mecs d’en face dans les sound clashs…
Bon, moi à la base je suis un peu moins branchée Dancehall et pas tellement calée dans ce genre mais j’ai bien dansé dans cette soirée. C’est moins intimiste que les soirées de Big Stone (qui jouaient aussi en tout début de soirée mais je n’étais pas encore arrivée). C’est plus virile, plus jeune, les sons sont plus synthétiques. Mais j’ai l’impression que c’est un peu devenu le style majeur à Hiroshima de nos jours. La plupart des mecs que l’on voit sur les photos ne sont pas uniquement selectors ou MC mais produisent aussi un bon paquet des tracks.
La suite de se dossier : Volet 3 / Jah93 de Jah Love Is Sweeter – Dub, Jah & mélodica
Les adresses :
Centre Point : Tsubaki Bldg 5F, 3-12 Yagenbori, Naka-ku, Hiroshima
Mugen : 1-3 Yagenbori, Naka-ku, Hiroshima
Haraya (dépôt-vente de meubles etc. on sait jamais ça peut servir si vous décidez de vous installer à Hiroshima)
www.haraya-hiroshima.com 0120-042-081 (il doit pouvoir répondre en anglais au cas où)
1-2-1 Ōshiba, Nishi-ku, Hiroshima
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