Je sais.. ma rubrique « interviews / entretiens » prend un peu la poussière ces temps-ci…
Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque (c’est sans doute la rubrique qui me tient le plus à cœur, parce que j’aime les gens d’Hiroshima et aussi parce que parler des Japonais c’est bien, mais parler avec les Japonais c’est encore mieux), encore moins les idées pour l’alimenter (la liste de gens que je souhaite rencontrer et vous présenter s’allonge de jour en jour), mais cette rubrique est malheureusement celle qui demande le plus de travail, d’organisation et de temps. Et le temps, c’est précisément ce qui me fait le plus défaut en ce moment. J’ai malgré tout réussi à en trouver un peu pour discuter avec Kotoe, et c’est d’elle que je vais vous parler aujourd’hui.
Kotoe, prof de yoga, Coréenne Zainichi et passionnée de voyages
Je vous présente donc Kotoe, une fille pétillante, drôle, ouverte, libre et attachante, avec qui il est impossible de s’ennuyer !
On s’est rencontré pour la première fois dans une soirée fin 2010, et on a tout de suite accroché. J’ai immédiatement capté chez elle ce petit brin de folie et ce côté « bonne vivante » dont j’ai besoin, au Japon comme ailleurs, pour me lier d’amitié avec quelqu’un.
Nous avons rapidement échangé nos numéros pour se revoir et faire la fête, ou sortir diner et bavarder pendant des heures ; toutes les 2 ou avec d’autres copines, mais aussi parfois avec notre 3ème acolyte : son ami d’enfance, un métisse Coréen-Américain, né au Japon et homo. Rien que ça ! Nous formons ces soirs-là, comme vous l’imaginez, un trio aussi improbable qu’inattendu, dans cet environnement plutôt homogène que donne en apparence le Japon !
J’adore discuter avec Kotoe ! Quel que soit le sujet de conversation, elle apporte toujours un point de vue intéressant ou un angle d’approche original, et sa manière d’aborder la vie en général m’inspire beaucoup.
Je voulais donc en savoir un peu plus sur le parcours qui a forgé son caractère et sa personnalité, en lui posant des questions sur 3 thèmes assez éloignés les uns des autres : sa passion et son métier : le yoga, sa vie au Japon en tant que zainichi (Coréenne vivant au Japon) et l’influence qu’ont pu avoir sur elle ses nombreux voyages à l’étranger. Elle a accepté avec enthousiasme de me répondre, c’est donc avec le même enthousiasme que je partage aujourd’hui avec vous le résumé de cet entretien. (Comme traduire fidèlement le Japonais n’est pas toujours facile, j’ai laissé pour les japonisants quelques expressions ou mots-clés en V.O. entre parenthèses).
Le Yoga
J’ai assisté 2 fois à ses cours et aurais bien aimé continuer, mais en ce moment, mes horaires de travail sont tellement irrégulières que c’est un peu difficile.
Depuis quand pratiques tu le yoga et comment t’est venue cette passion ?
C’était il y a 12 ans. À l’époque, je travaillais une partie de la journée dans un salon de massage, ce qui est extrêmement rude et fatiguant (on force beaucoup sur les bras et les mains) et le reste du temps dans le restaurant familial, un restaurant de cuisine japonaise traditionnelle. Je travaillais alors 7 jours / 7, je n’avais qu’une demi-journée de repos par semaine. J’étais totalement épuisée mais je n’arrivais malgré tout jamais à trouver le sommeil une fois ma journée terminée. J’étais dans un sale état. J’avais un rythme de vie complètement dingue et mon corps était à moitié détraqué.
J’ai alors commencé à avoir envie de me mettre au sport, histoire de me remettre en forme. Mais je me suis demandée à quel moment j’aurais bien pu trouver le temps d’y aller.
Puis un jour, alors que je feuilletais machinalement un magazine, mon regard s’est arrêté sur un super photo de fille exécutant une pose de yoga. J’ai trouvé ça d’une classe ! (かっこいい~!!) Ça m’a donné envie d’essayer. J’ai réalisé en plus que le yoga pouvait facilement se pratiquer à la maison. Je m’y suis donc mise. À l’aide d’un livre seulement.
A l’époque j’étais encore raide comme un piquet, mais j’ai découvert qu’après une séance, j’arrivais à m’endormir sans problème. Ça a suffit à me convaincre que je devais continuer. Et j’ai vite constaté qu’en plus de retrouver peu à peu le sommeil, mon état de santé général s’améliorait. (n.d.l.r : je pratique le yoga de manière irrégulière, avec quelques périodes plus intenses, depuis 2008 et souffre depuis longtemps de troubles du sommeil, et en effet, quand je vais au yoga toutes les semaines, je dors comme un bébé !)
Où t’es tu formée ?
Vers l’age de 20 ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’Ayurveda et ai pris la décision de faire un voyage pour perfectionner mes techniques de massage, mais aussi pour m’initier plus sérieusement au yoga. La première destination qui m’est venue à l’esprit était Bali, très populaire à l’époque pour le massage. Puis finalement, en poussant un peu plus mes recherches sur le yoga, je suis tombée sur des brochures sur l’Inde. Ce n’était pas du tout une destination à laquelle j’avais pensé jusqu’alors. On dit souvent que pour aller en Inde, il faut sentir comme un « appel » ou alors on risque de passer un très mauvais séjour. C’est exactement ce que j’ai ressenti à ce moment-là. C’était là-bas qu’il fallait que j’aille ! De toute manière, à Bali, aucun organisme ne semblait proposer de formation au yoga.
Mon choix était donc fait : l’Inde ! Je me suis inscrite dans une école située dans le Kerala, la région ou est né l’Ayurveda. À l’époque, je ne parlais pas un mot d’anglais et c’était mon premier voyage seule à l’étranger !
Là-bas, je me levais très tôt tous les matins pour l’entrainement de yoga, puis partais suivre des cours de massage l’après-midi, avant de revenir pour reprendre les entrainements de yoga jusqu’au soir. Mais très rapidement, c’est mon intérêt pour le yoga qui a pris le dessus.
Ce qui a été le point de départ de cette passion que je voue au yoga, ce qui m’a marquée pour toujours, c’est ma première expérience de la pause finale, celle qu’on exécute en fin de séance, après tous une série d’exercices parfois douloureux : la pause Shavasana (n.d.l.r : « pose du cadavre », qui consiste à rester allongé 10 min sur le dos. C’est moi aussi ma pose préférée. On a parfois presque l’impression d’être sous l’effet d’une drogue ! Et Kotoe va nous expliquer pourquoi.)
Avant de me mettre au yoga j’étais tellement tendue ! tellement pleine de stress ! et soudain cette extase, ce bonheur.. je me suis mise à pleurer..
A partir de là, j’ai décidé que je m’entraînerais tous les jours. C’était soudain devenu clair pour moi que le yoga c’était génial ! (やっぱり最高!).
En fait, j’ai commencé totalement par hasard l’apprentissage du yoga avec la méthode Sivananda, C’est un yoga plutôt facile d’accès, idéal pour les débutants ou les gens qui ne sont pas particulièrement souples. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’est vite popularisé à travers le monde. Et honnêtement, je n’aurais peut-être pas fait preuve d’autant de persévérance si j’avais commencé avec une méthode de yoga plus difficile.
Quand et comment t’es tu décidée à enseigner le yoga ?
Quand j’ai commencé l’apprentissage du yoga, c’était uniquement pour mon épanouissement personnel. Mais rapidement, j’ai pris conscience de tout ce que le yoga m’apportait et j’ai eu envie de l’enseigner. J’ai trouvé ça tellement puissant que c’est vite devenu évident pour moi que je ne pouvais garder ça seulement pour moi, et me devais au contraire de partager, de transmettre ce savoir à avec un maximum de monde (使命感).
J’ai d’abord fait un premier stage de 3 mois de yoga en Inde et moins de 6 mois plus tard, j’y suis retourné pour apprendre à l’enseigner.
Je cherchais une petite structure. A l’époque, je ne parlais toujours pas anglais mais en faisant des recherches sur internet, je suis tombée sur le blog d’une Japonaise mariée à un Indien, professeur de yoga, et j’ai décidé de rejoindre leur école.
Je suis restée en pension complète chez eux pendant 2 mois. Les cours ne se limitaient pas uniquement à la pratique du yoga. On y apprenait aussi les méthodes pour l’enseigner, et étions initiés à d’autres disciplines comme la philosophie ou la cosmogonie (宇宙観).
Une fois mon apprentissage terminé et mon diplôme en poche, je suis partie en voyage en Thaïlande pendant 1 mois et suis rentrée à Hiroshima pour chercher un emploi. Mais je ne souhaitais pas travailler dans un centre de sport. Je n’envisageais pas d’enseigner le yoga comme une activité physique seulement. Je souhaitais transmettre bien plus que ça : aborder les aspects philosophique et cosmogonique, et surtout montrer tout le bien être que le yoga peut apporter.
C’est là que l’idée d’ouvrir mon propre studio est venue. J’avais 21 ans, j’étais jeune, je n’avais pas peur, ou plutôt je n’étais pas encore consciente, des risques que présente la création d’une entreprise. C’était il y a tout juste 10 ans.
Quelle est la spécificité de tes cours ? Peux-tu nous décrire le déroulement d’une séance ?
- (n.d.l.r : elle commence par parler d’une petite anecdote de la journée)
- On commence par s’allonger pour se relaxer et essayer d’expulser toutes les pensées négatives qui se sont accumulées en nous dans la journée.
- Je chante un mantra.
- Je lis une page du livre 自分を磨く方法 d’Alexander Lockhart (n.d.l.r : je suppose qu’il s’agit de livre « The Portable Pep Talk: Motivational Morsels for Inspiring You to Succeed ») puis je développe un peu autour du thème abordé dans cette page. C’est un livre important pour moi, que j’ai découvert il y a 10 ans et qui m’a toujours aidé à trouver le courage et la motivation.
- On fait quelques exercices de respiration profonde.
- On exécute les «salutations au soleil».
- Puis on enchaîne 12 poses.
- Et enfin, on termine avec la pause Shavasana, dans l’obscurité. Je parle un peu au début de cette phase, pour aider les élèves à décontracter chaque point de leur corps, mais me tais progressivement.
Le but est d’atteindre un état entre éveil et sommeil pendant lequel on ne pense à rien. On appelle ça le Yoga Nidra. Atteindre cet état est en réalité le but principal du yoga. Les exercices physiques, la concentration mentale qui est demandée pendant les postures, ne sont pas le but en soi, ils ne sont qu’un moyen d’atteindre cet état. (n.d.l.r : à l’époque où je faisais du yoga hebdomadairement, j’ignorais complètement cela, mais en effet, c’est le moment que j’attendais avec le plus d’impatience ! malheureusement on n’atteint pas l’état Nidra à tous les coups.. )
Qu’est-ce que t’a enseigné le yoga ? Quelle influence ça a dans ta vie personnelle ?
A l’époque où je travaillais encore au salon de massage et au restaurant familial, je dépensais des sommes astronomiques en sacs à main de luxe, en vêtements de marque, en maquillage haut-de-gamme.. Sans en être consciente, je dépensais de l’argent pour me donner l’impression d’être belle et heureuse. Ce sont ces choses, des choses seulement, qui me donnaient de la valeur.
Quand j’ai commencé à faire du yoga, dès la première posture difficile à réaliser, je me suis mise en colère et ai demandé au prof pourquoi je n’y parvenais pas tout de suite.
Et il m’a répondu que c’était normal, que tout le monde passait par là, mais aussi que le plus amusant n’était pas la réussite, mais tout le travail et les efforts, tout le chemin pour y parvenir.
Et c’est à ce moment que je me suis demandée ce qui se passerait si je perdais toutes ces choses luxueuses auxquelles mon bonheur tenait. Que me resterait-il ? Rien ? Juste mon malheur ?
En Inde, je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de tout ça, que cela n’avait aucune valeur, qu’il fallait m’en débarrasser pour briller par moi-même. J’ai réalisé que je n’avais besoin de tout ça uniquement parce que je n’avais pas confiance en moi. Jusque là, j’avais sans cesse ce complexe d’infériorité, j’étais envieuse, je ne pensais jamais avoir assez parce qu’il y avait toujours des gens qui possédaient plus que moi, qui possédaient des choses plus jolies ou plus chères que les miennes.
J’ai découvert en pratiquant le yoga, qu’on pouvait créer son bonheur soi-même, plutôt que de d’essayer de l’acheter. Et depuis, je me sens bien plus épanouie.
On me complimente beaucoup sur ma nature gaie et positive, et ça me fait plaisir évidemment. Mais aujourd’hui, je ne cherche plus les compliments comme à l’époque où j’avais de jolis sacs et des vêtements de marque (n.d.l.r : elle s’habille très simplement et se maquille à peine). C‘est complimenter les autres et essayer de leur fait plaisir qui me procurent le plus de satisfaction.
J’ai aussi cessé de perdre mon temps à me plaindre et à me lamenter sur mon sort, cessé de m’attarder sur les choses négatives. Je préfère à la place faire quelque chose d’utile et profiter pleinement des moments joyeux. (n.d.l.r : complètement d’accord, à lire d’ailleurs à ce sujet : The Science of Happiness: Why complaining is literally killing you.)
C’est cet état d’esprit, ce mode de vie là que j’essaie de transmettre pendant mes cours, et c’est un peu la philosophie du yoga : se moquer des gens moins doués que soi pour en tirer de la fierté, c’est cheap, mesquin, ça n’apporte rien, mieux vaut essayer de s’améliorer soi-même, juste pour soi, sans s’en vanter. (n.d.l.r : en effet, aucun esprit de compétition en yoga, seule la progression personnelle compte, on a la plupart du temps les yeux fermés, et il n’y a pas de miroir sur les murs, on ne peut donc pas se comparer aux autres).
Coréenne au Japon
Kotoe est née au Japon, et a un nom et prénom japonais, mais comme moi, elle possède une carte de résidente étrangère.
Tu es née et as été élevée au Japon, quand et comment sont venus tes parents au Japon ?
Mon père était Coréen mais, comme moi, il est né au Japon. J’ignore comment et pourquoi ses propres parents sont venus ici. Lors d’un voyage en Corée, il a rencontré ma mère, âgée de 25 ans de moins que lui, et est tombé amoureux de ses jambes ! Il l’a ramenée avec lui au Japon et ils se sont mariés.
Te considères-tu plus Coréenne ou Japonaise ? Tu m’as dit un jour que quand tu voyageais à l’étranger, et qu’on te demandais ta nationalité, tu avais du mal à répondre..
Je me sens plus Japonaise de par ma culture et mon éducation.
C’est-à-dire ? Viviez-vous plus à la Japonaise ou à la Coréenne à la maison ?
A la maison, on a toujours plutôt mangé à la Coréenne et j’ai été surprise quand mon premier petit copain japonais m’a dit que j’avais de mauvaises manières à table. Ce ne sont pas des mauvaises manières, c’est juste une culture et des habitudes différentes : on mange parfois le riz à la cuillère, on ne tient pas le bol de la même manière, on ne s’assoit pas de la même manière autour de la table, etc.
Mais pour le reste, j’ai plutôt reçu une éducation à la Japonaise.
Je me souviens, lorsqu’on suivait des matchs Japon / Corée avec mère, on se disputait tout le temps, parce qu’elle supportait la Corée et moi le Japon !
Mais c’est vrai, quand je voyage à l’étranger et qu’on me demande ma nationalité, je ne sais pas toujours trop quoi répondre.
Si je réponds que je suis japonaise, on voit bien avec mon visage, mes gros sourcils, ma peau mate, ou avec mon tempérament gai et direct (明るい) que je ne suis pas japonaise. Mais répondre que je suis coréenne, alors que je ne suis pas née dans le pays, n’y ai pas vécu et ne parle quasiment pas la langue, c’est un peu étrange aussi. (n.d.l.r : je me souviens l’avoir entendu dire un jour, qu’elle répondait parfois seulement qu’elle était une terrienne).
Donc oui, j’avoue que j’ai un peu un problème d’identité.
En général, j’explique les choses en détail avec les gens avec qui je m’entends bien.
C’est aussi pour ça que j’aime voyager : Au Japon je suis une zainichi, en Corée une traitre.. mais à l’étranger, je suis une simple gaijin (étrangère), comme tous les autres touristes.
Ressens-tu parfois des difficultés, des obstacles ou du racisme ?
Quand j’étais petite à l’école, j’étais souvent victime de moqueries (いじめ), mais maintenant, je n’ai plus vraiment de problèmes ou peut-être que je n’y prête pas attention, que je ne m’en aperçois pas.
C’est surtout pour les démarches administratives : les emprunts bancaires, les souscriptions à des abonnements téléphoniques, les choses comme ça, que je rencontres des difficultés, ou plutôt que les choses sont plus compliquées pour moi que pour les Japonais.
J’ai une carte de résidente japonaise mais un passeport coréen, alors il y a toujours un moment où ça coince, et je dois toujours fournir plus de preuves que les Japonais.
Mais je suis fière d’être Coréenne, ou plutôt, je ne souffre pas de complexe d’infériorité, ni ne ressens de jalousie à l’égard des Japonais contrairement à mon grand frère qui cherche à cacher à tout prix ses origines.
Bien sûr, ça me fait de la peine quand je lis des commentaires négatifs sur les Coréens sur les réseaux sociaux, mais je me dis que c’est plus un problème entre pays, et que je ne dois pas le prendre pour moi personnellement. Je ne m’y attarde pas et ne commente jamais. Si c’est une personne que je connais bien, il peut m’arriver de prendre un peu de distance cependant.
Lorsqu’un de mes amis sur Facebook partage un lien vers un article haineux à l’encontre de la Corée ou des Coréens, je me dis que c’est dommage, que cette personne ne doit pas réellement comprendre le contenu ou le sens de l’article qu’elle partage.
Comment es tu considérée quand tu te rends en Corée ?
Je ne rencontre pas particulièrement de problèmes mais c’est amusant, parfois quand j’explique que je suis née et vis au Japon mais suis coréenne, les gens me répondent « Ha ! Voilà ! Donc en fait tu es Coréenne ! C’est pour ça que tu es si jolie ! »
Comptes-tu un jour demander la nationalité Japonaise ?
Non, je n’en ai pas l’intention. Je n’ai pas envie de cacher mes origines. (n.d.l.r : elle m’avait aussi expliqué un jour, que c’était pas respect pour sa mère et sa grand-mère.)
D’ailleurs lors des premier rendez-vous avec un garçon, je le fais savoir dès le début, histoire d’éviter les mauvaises surprises par la suite.
Bien que j’ai un nom et un prénom coréens sur les documents officiels, j’ai aussi la chance d’avoir un nom et un prénom usuels japonais, et je serais peut-être complexée si ce n’était pas le cas.
Mais bon, tout ça, ce ne sont que des histoires de paperasse, ça ne me préoccupe pas plus que ça.
Les voyages
Elle a fait de nombreux voyages : en Inde (plusieurs mois, seule), en Corée (tous les ans avec sa mère), en Australie (pour rejoindre son petit ami qui y passait un séjour en working-holiday), en Thaïlande (seule), aux Palaos (4 mois, seule), à Bali et à Guam.
Envie d’autres destinations ?
Oui, j’ai aussi envie de visiter l’Espagne et New York. Je n’ai toujours pas été à Hawaï parce que je réserve cette destination pour ma lune de miel !
Comment est née cette passion ?
Mon tout premier voyage, c’était en Australie. J’y allais pour rejoindre mon petit ami qui y passait un séjour en working-holiday. À cette époque, contrairement à mon copain, je ne m’intéressais pas particulièrement aux pays étrangers, je ne cherchais pas à rencontrer d’étrangers non plus.
On est resté ensemble 4 ans, mais il était quasiment tout le temps en voyage autour du monde, souvent dans des coins complètement reculés. Petit à petit il m’a transmis sa passion.
Petite, j’étais moche, on se moquait de moi à l’école. J’avais une affreuse coupe au bol et aucun goût vestimentaire. Je n’avais aucune aura, très peu d’amis. Tout l’inverse de mon copain ! Et je l’enviais. Je me suis donc dit que si faisais comme lui, je parviendrais peut-être à devenir comme lui.
Je me suis donc lancé dans les voyages et dans l’apprentissage de l’Anglais.
Je me suis aperçue que lorsque je voyageais, je n’étais plus « une Coréenne au Japon », mais juste moi-même, que l’on s’intéressait beaucoup plus à ma personnalité et qu’elle était plus appréciée qu’ici. (n.d.l.r : elle est beaucoup plus fofolle et naturelle que le modèle idéal de la femme au Japon, et ça joue souvent en sa défaveur avec les garçons ici. Elle est également souvent prise pour une lesbienne par les Européens, ce qui lui a valu quelques histoires rigolotes !).
Le yoga et les voyages ont tout changé à ma vie, ils m’ont permis de devenir complètement quelqu’un d’autre : celle que je désirais être.
Quels sont tes meilleurs et pires expériences, souvenirs ?
Est-ce que ce n’est pas un peu toujours le 1er voyage qui reste le meilleur souvenir ?
En tous cas, le pire, je sais le quel c’est ! :
Je venais de me séparer avec le garçon avec qui je devais me marier donc j’avais besoin de faire quelque chose pour me remonter le moral et lui montrer que je ne me laissais pas abattre. J’ai trouvé un boulot dans un spa aux Palaos et devais d’abord suivre une formation à Yokohama. Mais dès le début, tout m’a paru louche, rien ne se passait comme prévu. Les dates prévues pour le début de la formation étaient sans cesse repoussées. Les travaux du spa aux Palaos ne semblaient pas avancer. Plus je discutais avec le patron, plus son business me donnait l’impression de ressembler à un club à hôtesses. Le salaire était bien plus bas que prévu au départ, mais il me rassurait en me disant que le coût de la vie sur place était bien moins élevé qu’au Japon..
Je me suis quand même lancée dans l’aventure et suis partie. Le patron était censé payer mes frais d’installation à mon arrivée, mais une fois sur place, il m’a expliqué qu’il attendait la fin du mois, lorsque les taux de change seraient plus favorables. Bien entendu, il a continué à repousser le payement en trouvant sans arrêt de nouveaux prétextes.
Le temps passait, et je ne recevais toujours aucun salaire, mes économies s’épuisaient, je pleurais tous les jours.
Je ne pouvais me confier à personne, parce que le patron m’avait interdit de parler de ce projet. Il m’avait conseillé de ne pas me faire d’amis japonais, mais j’ai finalement fini par en rencontrer, et tous m’ont conseillé de quitter cette entreprise, me disant qu’il s’agissait d’une arnaque.
J’ai finalement reçu un peu d’argent, mais seulement la moitié de la somme prévue et le patron m’a dit que si le projet s’était cassé la gueule, c’était de ma faute. Ça a été une rude épreuve, mais pour ma soirée d’adieu, tous les gens qui m’avaient soutenue sont venus, et je garde de ça un très bon souvenir. Même si le pays m’a plu et qu’il n’y a pas eu que du mauvais, j’en garde quand même un souvenir mitigé.
Mais le voyage qui m’a le plus marquée, transformée et eu d’influence sur ma vie est certainement celui en Inde du Sud, dans les Montagnes bleues du Nilgiris. Pour arriver sur les lieux, il fallait grimper une route chaotique jusque dans les hauteurs des montagnes, au milieu de nulle part. On était tellement en altitude que si tu ouvrais les fenêtres, les nuages rentraient dans la maison ! Il y avait d’énormes singes partout. Le paysage était époustouflant ! C’est une région connue pour son thé. Il y avait d’énormes rochers partout, j’avais un peu l’impression d’être dans Jurassic Park !
A cette époque, je ne m’entendais pas du tout avec ma mère. Mais arrivée au sommet de ces montagnes, j’ai décidé de lui écrire une longue lettre. Je me suis soudain sentie tellement reconnaissante pour tout ce qu’elle m’avait donné ! Elle était venue au Japon sans parler un mot de la langue et nous avait élevé seule, mon frère et moi, après la mort prématurée de notre père, en travaillant dans des nomiya (débits de boisson nocturnes souvent fréquentés par les salarymans) pour que l’on ne manque jamais de rien. A l’époque, j’avais honte de son métier, de notre condition.
Face à ce paysage incroyable, j’ai enfin réalisé tout ce qu’elle avait fait pour moi, j’ai réalisé à quel point j’avais été égoïste et ingrate, j’ai réalisé que si j’étais là, si j’avais réussi à accomplir tout ça, c’était grâce à elle. Depuis nous sommes super proches et inséparables (n.d.l.r : Kotoe et son frère vivent encore avec leur mère. Je l’ai rencontré plusieurs fois et ai passé une journée dans leur petite maison secondaire sur une minuscule île de pêcheurs, au large du port d’Hiroshima, Kanawajima, et n’aurais jamais soupçonné qu’elles aient pu mal s’entendre à une époque ! On dirait des sœurs, des copines.)
On entend récemment dire que les jeunes Japonais partent de moins en moins tenter leur chance à l’étranger, en échange universitaire ou long séjour, qu’en penses-tu ?
Je pense qu’ils ont vraiment tort.
Tant qu’on n’a pas essayé, on ne sait pas ce qu’on loupe, pourtant, les voyages ont tout changé dans ma vie :
- sans les voyages, je serais restée cette fille matérialiste, mal dans sa peau, qui subit les moqueries des autres.
- sans les voyages, je ne me serais jamais réconciliée avec mère, je n’aurais jamais ressenti cette gratitude pour elle.
Le mot de la fin
Tu es toujours pleine bons conseils sur la vie, un dernier mot pour les lecteurs ? un conseil à leur donner ?
Il ne faut pas attendre des autres qu’ils nous rendent heureux, mais plutôt faire tout son possible pour rendre les autres heureux. C’est de cette manière qu’on reçoit le plus.
Par exemple, quand on passe un moment ensemble, si au lieu d’attendre de toi que tu ME fasses plaisir, je fais quelque chose qui TE fait plaisir, tu seras contente et ta joie me procurera aussi de la joie, et toutes les deux, nous dégagerons une gaieté qui se propagera sur les gens autour.
Au final, cela fera plus de gens heureux que si je n’avais cherché au départ que ma satisfaction personnelle.
Tout le monde me répète sans cesse que je suis une fille trop happy. Mais, je me satisfais de choses simples, il en faut peu pour me rendre joyeuse : une bière après le boulot et « Wow !! C’est trop agréable !!! »
(n.d.l.r ça me rappelle qu’après cet entretien, on s’est fait un resto et à la première bouchée de chaque nouveau plat qui arrivait on poussait des cris de joie euphoriques ! c’est vrai que sa bonne humeur déteint vite sur les gens autour ! Elle adore chanter « c’est bon bon bon bon ! » sur l’air de « c’est bon pour le moral » de la Compagnie Créole, que je lui avais fait écouter un soir où l’on faisait la fête ensemble !)
Je fais du yoga pour évacuer tout le stress et garder de la place libre (余裕) dans mon esprit pour ressentir à fond tous ces petits bonheurs.
A la base, je n’avais pas de passion ni de compétence particulière, c’est pourquoi je me suis lancée à fond dans le yoga, jusqu’au bout. Et n’importe qui peut y arriver.
En conclusion, je dirais que l’essentiel c’est de trouver quelque chose qu’on aime, un hobby, une passion. Ça permet d’évacuer toutes les mauvaises ondes et de laisser la place libre dans le corps et dans l’esprit pour le bonheur et l’épanouissement.
Le studio de Kotoe : Apsaras yoga Studio
Les adresses :
www.apsaras-yoga.com
Shigeto Bldg 3F, 1-21 Naka-machi, Naka-ku, Hiroshima (au dessus de la boutique Woman’s Gallery)
Tél : 070-5300-8066
le blog
galerie photos
Mikado (teppanyaki avec le meilleur bœuf que j’ai jamais goûté !) : Inshokugai (飲食街) 5-16 Enkobashi, Minami-ku, Hiroshima
Rojiura Teppan Kotaro : Dai2 Ogyo Bldg (第二大形ビル) 2F, 1-8 Fujimi-cho, Naka-ku, Hiroshima
Yamatsumi (cuisine japonaise traditionnelle / poisson) : Kashiwagi Bldg 1F, 1-11 Fukuromachi, Naka-ku, Hiroshima
Laurent
août 26, 2016
Wouahou, super interview. Je decouvre ton blog par cette Itw et j’adore !
Super etat d’esprit cette nana. Ton texte donne lui aussi la patate.
Merci.
Judith Cotelle
août 27, 2016
Merci pour ton commentaire !
Kotoe étant une super bonne copine et une fille géniale, c’est un immense plaisir de partager son discours positif et de savoir qu’il est apprécié !
Je vois que tu fais un blog sur la Corée, j’irai jeter un coup d’oeil à tout ça !!
Laurent
août 28, 2016
J’écris la suite de mes impressions sur ton blog ici, c’est pas plus mal qu’ailleurs. Je dévore tes articles, j’aime particulièrement tes itw. Après avoir lu l’une d’entre elles, sur le grapheur Suiko, je suis allé sur son site pour commander des baskets avec ses motifs trop stylés. Depuis on s’est échangé qlques mails, je pense lui acheter une Serigraphie ou un truc comme çà. En tout cas il a l’air sympa ce mec. Bref pour te dire que ton blog a un vrai impact. Il est très positif et plein d’humour. Ca fait du bien de tomber sur des articles qui font pas guide touristique comme c’est majoritairement le cas dans la blogosphère jap. Et tu as une bonne plume, donc très agréable à lire.
J’apprécie d’autant plus tes textes que je suis moi- même graphiste expatrié (en Corée donc – à ce propos mon blog est à l’abandon, n’y perd pas ton temps ).
Je t’encourage à continuer. Ton blog me redonne l’envie de poursuivre le mien et d’aller découvrir Hiroshima, pourquoi pas l’an prochain.
Merci.
Judith Cotelle
août 31, 2016
Merci beaucoup pour tes commentaires, ça fait vraiment plaisir de trouver des gens à qui ces sujets peuvent plaire !
C’est cool pour Suiko, depuis mon article sur le blog et dans le magazine GetHiroshima, il m’a dit qu’il avait eu la visite de nombreux étrangers dans son shop !
Ca me plaît en fait de faire découvrir les talents ou les personnes intéressantes de la ville et ouai, Hiroshima est une ville qui vaut vraiment le coup d’être approfondie, pas juste survolée en coup de vent en y faisant du tourisme, c’est les habitant qu’il faut rencontrer surtout !
laurent
septembre 03, 2016
Suiko assure vraiment, il collabore avec des français top level comme Astro, il est vraiment fort! Grâce a tes pubs J’espère qu’il te fera un bon prix si tu lui achetes une toile
.J’aimerai suivre ton conseil mais c pas évident de rencontrer les gens pendant un voyage de quelques jours. En tout cas je continue a suivre ton site pour faire de nouvelles découvertes ✌
Judith Cotelle
septembre 03, 2016
Si tu sors un peu le soir, tu t’assois à un comptoir et tu rencontreras facilement des gens ! C’est quand les Japonais boivent qu’ils sont le plus accessibles ! J’ai des amis français qui viennent souvent au Japon, plein qui ne parlent pas japonais, mais à chaque fois ils font plein de rencontres de cette manière ! (je me répète peut-être, j’avais peut-être déjà écrit ça dans un autre commentaire). En tous cas, ma dernière stagiaire française m’a dit qu’elle avait réussi à se faire plein d’amis ici de cette manière pendant ses 6 mois à Hiroshima et qu’elle ne saurait comment faire la même chose de retour en France, si elle arrivait dans une nouvelle ville. En France, si tu sors seul(e) dans un bar, on te regarde un peu de travers comme un alcoolo ou comme quelqu’un qui n’a pas d’amis. Haa ! faut vraiment que j’écrive un article là-dessus !