Aujourd’hui, je vais vous parler de ma nouvelle lubie : le sanshin !
En réalité, j’avais bien entamé un 3e article sur Hiroshima pendant le coronavirus, mais avouez qu’on en a tous un peu marre, non ? Alors passons à des choses plus joyeuses et plus estivales !
Pourquoi le sanshin ?
Je vous avais un peu parlé du sanshin au retour de mon fabuleux voyage à Ishigaki, petite île au sud d’Okinawa, où cet instrument de musique est particulièrement populaire. Si vous ne voulez pas relire tout l’article, ce petit extrait et cette vidéo vous en donneront une idée :
À Ishigaki, on a l’impression que c’est les vacances en permanence, et que les locaux passent leur temps en tongs, à jouer du sanshin (le petit banjo à 3 cordes) en buvant des Orion, hilares. Le ton est déjà donné quand on atterrit, accueilli par le personnel d’aéroport en chemises à fleurs.
On prend vite le rythme, sans forcer. Dès le 2e jour, on se surprend à siffloter un de ces 3 morceaux qui passent en boucle où que l’on soit : Umi no koe, Begin : Shimanchu nu takara, Orion Bīru.
J’avais une grosse envie d’en ramener un, ne serait-ce que pour la déco, et pourquoi pas pour en jouer. Mais ça ne rentrait pas vraiment dans mon budget à ce moment-là.
Mais en fait, mon intérêt pour la musique d’Okinawa et cet instrument remonte à bien plus loin ! En 2007, on était parti camper avec quelques copines à Tsunoshima et après 5h de route et de la pluie toute la journée, je me souviens encore de ce moment magique. Le soleil et la joie étaient revenus, juste quand elles avaient commencé à passer de la musique d’Okinawa. C’était la première fois que j’en entendais. On peut donc dire que ça a créé une sorte d’association ou connexion émotionnelle tenace entre ce son et moi.
Mais qu’est-ce que le sanshin ?
Alors avant toute chose, je ne vais pas vous recracher ici la page wikipedia qui me parait suffisamment fournie. Non, dans cet article, je vais plutôt vous parler de mon expérience (bien qu’encore très limitée), de la pratique et de l’apprentissage.
En fait, les ressources en français au sujet du sanshin sont plutôt rares, et c’est guère mieux en anglais. Je vais donc me concentrer sur ce qui me paraît intéressant et qu’on ne trouve pas dans ces articles.
Et qu’on soit bien clair avant que je me lance sur le sujet : je parle bien d’intérêt ou encore d’attachement, et pas de passion, hein. Je ne passe pas mes journées à écouter de la musique d’Okinawa, pas plus que je ne compte monter sur scène avec un sanshin. N’allez pas croire non plus que je suis incollable sur les artistes d’Okinawa ou le répertoire folklorique, ni que j’envisage de m’auto-proclamer spécialiste du sujet *. Ça m’intéresse, je trouve ça cool, donc je partage, c’est tout ! (* D’ailleurs si vous repérez des erreurs dans ce que j’ai écrit ici, n’hésitez pas à me les signaler)
L’anatomie du sanshin
Vous n’avez peut-être pas eu envie de vous taper la page wikipédia ? Aucun souci ! Donc pour faire court : sanshin (三線) signifie « trois cordes ». C’est un instrument en peau de serpent, ancêtre du shamisen généralement plus connu à l’étranger, et dérivé d’un instrument chinois.
En tous cas, je trouve que c’est un très bel instrument ! Je vais vous présenter le nom des différentes parties qui le composent. Ça sera peut-être sans intérêt pour certains, mais ça peut servir si l’on essaie d’en jouer, et ce sont des infos qu’à ma connaissance on ne trouve pas en français.
(Je suis pas certaine d’avoir bien placé mon chevalet. Sur la vidéo du fabricant, le mec disait de le placer à 3 doigts du bas, mais s’il a des doigts comme des saucisses de Morteau…)
Le plectre
Le plectre (oui, j’ai découvert ce mot, moi j’appelais ça le médiator) s’appelle « tsume » (ツメ) ou « bachi » (バチ) à Okinawa. On l’enfile sur son index, et on le soutient avec son pouce et son majeur placés vers la pointe. C’est en principe fabriqué en corne de buffle d’eau, mais le mien est très certainement en plastique.
Quelques-unes de ses spécificités
♦ Comme vous avez pu le voir sur les images, le sanshin ne possède pas de frettes. (Lorsqu’on débute, on peut cependant s’aider d’auto-collants repères sur le manche, et je suppose qu’on les enlève, une fois qu’on maîtrise un peu, comme les roulettes de vélo !)
♦ On ne peut jouer qu’environ 12 ou 15 notes sur l’instrument (si accordé de manière standard (本調子) : do, ré, mi, fa, sol, la, si, do + ré, mi, fa, sol sur l’octave suivante, qui me semble moins utilisée). On trouve parfois 3 notes supplémentaires : 下尺 (shitashaku) et 九 (kyū) s’il on accorde d’une autre manière, et 下老 (shitarō : fa).
♦ On n’utilise que 3 doigts pour jouer : l’index pour l’équivalent de la première frette, le majeur pour la deuxième, et l’auriculaire pour tout ce qui suit.
♦ On ne gratte normalement les cordes que du haut vers le bas, sauf si ce symbole ┐ apparaît sur la partition.
L’apprentissage / Est-ce que c’est difficile ?
Comme pas mal de monde paraît-il, j’apprends de manière auto-didacte. En m’aidant de vidéos sur YouTube.
Un instrument de musique très accessible
C’est un des aspects qui m’a attirée vers cet instrument. J’hésitais y a quelques temps à me remettre à la guitare. J’avais pris 2 ans de cours vers l’âge de 14, 15 ans. Tout ça pour finir par l’accorder de manière à pouvoir jouer tous les morceaux de Niravana avec un seul doigt en accords barrés ! Non, j’ai pas suffisamment de temps ni d’ambition pour ça.
Le sanshin ?
- Pas besoin d’apprendre le solfège
- Un son assez facile à produire (pas comme le violon ou les instruments à vent)
- La main sur le manche est presque immobile
- Un seul sens de grattage (la plupart du temps en tous cas)
- Pas d’accords (notes jouées une par une)
- Des rythmiques plutôt simples
(Y a très probablement des subitilités qui m’échappent encore, et des choses qui se compliquent par la suite, mais voilà ce qu’il en est au stade débutant.)
On peut vraiment commencer à jouer et s’amuser très rapidement !
Les étapes d’apprentissage
Mon instrument était livré avec un manuel (enfin des photocopies), quelques liens vers la chaîne YouTube du fabricant, et j’ai ensuite décidé de suivre la chaîne de la prof i-dushi.
- Manipulation des chevilles (カラクイ karakui) et accordage de l’instrument (j’ai failli me faire une tendinite, c’est pas super simple)
- Manière de tenir l’instrument, positionner son corps *, ses bras, ses mains sur le manche et ses doigts sur les cordes (* c’est important, j’ai eu très mal au dos les 2 premiers jours parce que mes jambes étaient trop serrées). Je pense pas être encore super au point, c’est là qu’un prof présent aiderait pour corriger.
- Comment tenir le bachi (le plectre) et gratter les cordes
- Découverte et apprentissage du kunkunshii (工工四), le système de notation musicale, en chantant à voix haute le nom de chaque note. C’est VRAIMENT indispensable, et ça rentre super vite en fait.
- Apprentissage de morceaux simples (comptines pour enfants : きらきら星 (Ah vous dirai-je maman) et チューリップ (plus ou moins Frère Jacques)
- Et roule ma poule, apprentissage de véritables morceaux !
Alors, les cours de i-dushi m’ont d’abord paru trop nian-nian kawaii, genre t’as envie de dire « c’est bon, accouche ! arrête le blabla ! Qu’on passe aux choses sérieuses, bordel ! ». T’as envie que ça aille plus vite, elle te répond qu’elle sait que tu voudrais que ça aille plus vite, et que tu verras. Bref, finalement en fait elle a raison, c’est très bien comme c’est, et ça fonctionne. En tous cas ça a fonctionné pour moi !
Y a certaines choses qu’on pourrait d’abord vouloir survoler, mais qui s’avèrent finalement importantes, voire indispensables à un moment : le vocabulaire spécifique à cet instrument, le nom des cordes, des manières d’accorder l’instrument, et surtout le kunkunshii ! (J’y viens justement)
Les partitions musicales, le kunkunshii (工工四)
Alors, à Okinawa, on ne dit pas « do ré mi fa sol la si do » mais
aï otsu rō shi jō chū shaku kō ♪
合 (アイ) 乙 (オツ) 老 (ロウ) 四 (シ) 上 (ジョウ) 中 (チュウ) 尺 (シャク) 工 (コウ)
Voilà à quoi ressemblent les partitions, qui sont en fait des tablatures. Les noms que je viens d’indiquer ne correspondent pas à des notes, mais à l’emplacement des doigts (勘所 kandokoro). On lit de haut en bas (de droite à gauche).
Peu d’indications de rythme, il faut donc mieux connaître le morceau ou pourvoir l’écouter quelque part.
Chaque case correspond à un temps (donc une note dans une case = une noire, les notes à cheval sur 2 cases sont plus ou moins des croches). Ce symbole 〇 correspond à une pause. Celui-ci 、à une corde pressée avec la main gauche mais pas grattée avec la main droite.
Sur la colonne de droite, ce sont les paroles (en dialecte d’Okinawa).
Oui, parce que normalement cet instrument est plutôt prévu pour accompagner un chant… Je ne m’étais pas penchée sur la question au départ en fait. Je pense pas être totalement incapable de chanter, mais je ne peux pas monter dans les aigus (j’ai une voix grave, contralto d’après un test en ligne) et ça fait un truc en plus à apprendre. A la guitare déjà j’avais du mal à coordonner les deux en plus. Je verrai plus tard mais ce serait quand même sympa d’essayer à un moment donné.
Sinon, j’ai trouvé un site pour télécharger des partitions et voici le morceau (de musique folklorique agricole apparemment :D) sur lequel je m’entraîne actuellement :
Il est aussi décortiqué lentement par i-dushi sur cette vidéo.
Peut-on s’initier au sanshin sans parler / lire le Japonais ?
Alors oui et non. Le Japonais n’est pas nécessaire en soi, mais sur internet, la quasi totalité des ressources est en japonais. Mais bonne nouvelle, j’ai vu qu’il existait un club de sanshin en France !
Après pour la lecture des partitions, franchement c’est pas la mer à boire. Il suffit d’apprendre une dizaine de caractères. Ça aurait tout aussi bien pu être des cœurs, des étoiles et des trèfles.
Combien ça coûte ?
Les prix démarrent aux alentours 10,000¥ (85€) et peuvent aller jusqu’à 500,000 (4275€) !
Ceci dit, le prix standard pour un instrument pour débutant tourne autour de 30,000¥ (à 10,000 ce sera juste de la déco en plastique), 70,000 pour quelque chose d’un peu plus solide, et dans les 150,000/250,000 je pense que c’est vraiment pour les pros et les passionnés. Au-delà j’imagine que ça s’adresse plutôt aux collectionneurs.
Pour info, j’ai payé le mien environ 24,000 (en vraie peau de serpent), mais les cordes se détendent très vite et la cheville de la corde la plus aigue est un peu lâche.
Différents types de musiques d’Okinawa
N’étant pas experte, je vais juste vous parler de 2 styles que je connais.
♦ BEGIN (un groupe originaire d’Ishigaki, un peu plus pop et moderne, mais très mainstream, certainement à l’origine de la popularisation de la musique d’Okinawa dans le reste du Japon. Tout le monde chante leurs morceaux au karaoké). Je vous laisse leur morceau le plus connu en version karaoké romaji !
イーヤーサーサー♪
Conclusion
Je me suis mise à cet instrument sans objectif particulier, sans pression, juste pour m’amuser. Peut-être en grattouiller un peu pendant les barbecues ou les soirées à la plage. Je ne m’entraîne pas comme une folle : entre 30 et 60 minutes par jour au grand maximum, sans forcer. Mais c’est agréable. Au pire si j’abandonne, ça fera un joli objet de déco !
Quelques liens :
https://wiki.samurai-archives.com/index.php?title=Sanshin
https://www.tabido.jp/en-us/article/1329/
Greg
mai 11, 2020
Super article pour le musicien sur le retour que je suis également. Il y a juste un petit bémol (ahah), aussi bien sur Chrome que Firefox, le tiers de la page est cachée par la banderole de navigation et je trouve ça on ne peut plus agaçant. Change rien pour le reste, c’est toujours un plaisir.
Judith Cotelle
mai 11, 2020
Merci pour ton commentaire ! 🙂
Par contre je ne vois pas trop quel souci tu parles : j’ai essayé sur Firefox (Mac et PC) et Chrome (PC) :/
FX
mai 12, 2020
Cool comme article, c’est rare d’avoir de la ressource en Francais sur ce genre d’instrument.
Petite question au passage, pourquoi un Sanshin plutôt qu’un Shamisen (en dehors de l’affectif et du souvenir des vacances) ? Et aussi je n’ai jamais pourquoi le Sanshin est tellement moins cher que le Shamisen…
Judith Cotelle
mai 13, 2020
Haha, c’est étonnant comme question ! Et pourquoi plus un shamisen qu’un sanshin ? comme si c’était évident ? Mais la réponse est un peu dans la question, puis le shamisen ça me semble un peu cérémonieux, sérieux, « je joue des morceaux classiques en kimono avec un balai dans le cul » alors que le sanshin j’ai plus l’image de soleil et de déconne !
Après au niveau des prix, je n’ai pas de réponse, mais en jetant un rapide coup d’oeil sur Google, je vois qu’on en trouve à tous les prix, comme le sanshin.
FX
mai 13, 2020
J’avoue que le Shamisen peut sembler plus « rigoureux » que le Sanshin, surtout quand tu les vois en kimono 🙂 Après tu as le Tsugaru Shamisen qui est très rythmé (les Yoshida Brothers sont un bon exemple) ou encore le Shamisen électrique (je te laisse écouter WagakkiBand 😉 ).
En fait je me posais la question car le Shamisen est plus répandu au Japon alors que le Sanshin vient vraiment que d’Okinawa et j’avoue que j’aimerai beaucoup en faire donc chaque avis m’aide a faire pencher la balance.
Judith Cotelle
mai 13, 2020
Merci, je vais aller jeter un coup d’oeil à tout ça !
Sinon, pour le choix, peut-être que tu peux juste te laisser porter par ce qui te fait le plus envie, par le son qui te plaît le plus.
Mathieu Loustau
juin 04, 2020
Merci pour cette page que je viens de découvrir car ayant cherché la correspondance des notes japonaises avec les notes classiques. Je n’ai jamais vraiment joué d’un instrument de musique mais le sanshin / Shamisen m’ a toujours intéressé et j’ai sauté le pas. Votre page est simple et très détaillé. J’ai acquis un sanshin pour moins de 16 000 yens sur Rakuten. Bon la peau c’est du synthétique et les pièces viennent du Vietnam mais le son est correct.
Judith Cotelle
juin 05, 2020
Merci pour votre commentaire et ravie que mon article ait pu vous être utile ! Bon courage dans votre apprentissage du sanshin !
Tomy
février 08, 2021
Je suis un membre du Paris Sanshin Club et c’est sympa d’avoir mentionné l’association 😉
(Bon le site n’est pas très à jour mais nous sommes actifs en général, hors covid)
Très bonne article pour découvrir l’instrument, je me suis beaucoup reconnu dedans, à l’époque où j’avais commencé à apprendre (autodidacte aussi en 2014 à Okinawa) et je suis très en phase avec ce que tu as rédigé.
Si tu as des questions et que le club peut apporter des réponses, nous serons ravis de pouvoir aider.
Bonne continuation dans l’apprentissage et peut-être qu’un jour on pourra jouer ensemble (Asadoya yunta par exemple 😉
PS : dans la vidéo du bar à ishigaki, le gars à gauche assis sur la chaise et qui danse sur Orion beer avec ses mains m’a bien fait rire, je vais apprendre sa petite choré pour les prochaines fois 🙂
Judith Cotelle
février 08, 2021
Merci pour le commentaire !
J’espère ne pas avoir dit trop de bêtises, je me rends compte au fur et à mesure de mon apprentissage qu’il y a des petites choses que je n’avais pas encore bien comprises au moment de l’écriture de cet article.
Oui, je m’en lasse pas des roulés de mains sur Orion Beer ! 😀 C’est le morceau que je suis en train d’apprendre d’ailleurs en ce moment !