J’ai décidé ce soir d’écrire une suite à cet article. Et je m’aperçois qu’il s’est (déjà) écoulé pile un mois depuis cette publication. C’était le 13, comme aujourd’hui.
Le ton restait encore gai et optimiste, même si l’on se faisait guère d’illusion. Alors comment les choses ont évolué ici pour nous depuis ?
D’abord quelques informations générales
Commençons par les chiffres
La préfecture d’Hiroshima comptait au 13 avril 65 cas (sur un peu plus de 2000 personnes testées), dont 15 dans la ville d’Hiroshima (1,2 millions d’habitants). C’est en fait dans la petite ville de Miyoshi, à la campagne, qu’a été récemment découvert un cluster (de 30 personnes) faisant grimper les chiffres.
Vous pouvez suivre les données sur le site de la préfecture (mise à jour le lendemain en semaine et en japonais). Mais je vous conseille plutôt la page Facebook ou le compte Twitter de GetHiroshima qui fait un travail remarquable pour tenir la communauté étrangère au courant des dernières nouvelles concernant l’épidémie dans la région.
Pour chaque nouveau cas détecté, une enquête est menée. On interroge la personne infectée sur ses déplacements et sur les personnes avec lesquelles elle a eu un contact rapproché. On teste ensuite toutes ces personnes.
Et ici alors le confinement ?
Pas de confinement intégral à la française chez nous. Le gouvernement ne peut que le demander très fortement, mais ni l’imposer ni punir en cas de désobéissance.
Du fait d’un certain passé autoritaire, les pouvoirs du gouvernement sont limités par la constitution japonaise, et la liberté de déplacement des citoyens protégée.
Si vous voulez en savoir plus à ce sujet un thread en français ici :
https://twitter.com/jf_heimburger/status/1247045329851121664
un autre encore plus complet en anglais ici :
There's a lot of discussion about what's going on w/Japan's response to COVID-19. IMHO many arguments are futile w/o expertise in epidemiology/virology/etc.
But a contribution I feel I can make is to translate Japanese info into English. That's what this thread is for.
/1— Derek Wessman (@dwvcd) March 27, 2020
Comme la population n’était pas très réceptive jusqu’à présent et que le nombre de personnes infectées commençait à exploser dans certaines régions du Japon, un état d’urgence a été déclaré pour Tokyo et 6 autres lieux. Il a pris effet le 8 avril.
Les rues sont donc désormais quasiment désertes dans la capitale, même si beaucoup continuent d’aller travailler. Vous pouvez le vérifier sur la live camera placée sur le fameux scramble de Shibuya.
On compte là-bas un peu plus de 2000 cas (→ les données détaillées en anglais)
État d’urgence à Hiroshima ?
Non, mais le gouverneur de la préfecture d’Hiroshima, M. Yusaki a demandé à chacun de se confiner la semaine comme le week-end jusqu’au 6 mai. Les écoles, qui avaient rouvert récemment vont être à nouveau fermées.
Passons maintenant au choses plus personnelles
Mon état d’esprit
Je suis nettement moins insouciante qu’il y a un mois. En effet, à cette époque, même si je prenais un peu plus de précautions qu’en temps normal, je continuais de sortir, de fréquenter les bars ou les restaurants, et de voir des amis.
Ma dernière sortie avec des amis date du 29 mars. C’était un hanami auquel j’avais hésité à participer. Puis je me suis dit qu’en petit groupe, en plein air, sans être assis face à face…
On respectait en tous cas la règle des trois C (三蜜).
La dernière avec la famille (celle de mon copain), date d’il y a 10 jours, et c’était à Tokyo.
J’ai pris un maximum de précautions : trajet en navette et avion vides (avec masque chirurgical + masque en tissu) puis voiture. Pas de transports en commun une fois sur place, pas de sorties le soir.
Cependant on a bu un café dans le nouveau coffee shop* d’un pote à Gaku (quasiment vide et où les clients devaient s’assoir dans des recoins espacés de plus de 2m) et déjeuné le dernier jour avec les parents dans un resto français de leur quartier (avec les mêmes consignes).
(* Saladay, à cette adresse. Il est allé jusqu’en Éthiopie choisir ses grains, et les torréfie lui-même sur place)
Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que pour mon anniversaire, on a passé une journée avec le grand frère, qui continue de se rendre tous les jours sur son lieu de travail et emprunte une ligne de métro bondée matin et soir. Pas de télétravail pour lui faute d’ordinateurs portables dans son entreprise…
J’étais plutôt angoissée il y a 2 semaines. Peut-être le fait d’être seule pour la première fois depuis longtemps et aussi parce que je venais d’apprendre que j’allais devoir me faire opérer début juin. Mais je me sens étonnement beaucoup mieux ces derniers jours.
Mon quotidien, mon confinement, une grosse frayeur
Mon copain étant parti travaillé à Tokyo* depuis le 24 mars, je suis seule à la maison. Il a en effet confié le restaurant à son cuisinier, les clients étant bien moins nombreux depuis quelques temps. (* Il travaille seul et se déplace en voiture).
De mon côté, je me suis auto-confinée depuis mon retour de Tokyo le 7 avril. Je me contente d’aller faire les courses ou des marches à pied, avec un masque. D’ailleurs, les supermarchés viennent d’installer des rideaux en plastique devant les caisses et des marques au sol pour l’espacement entre les clients. On peut aussi utiliser le gel hydro-alcoolique mis à disposition à l’entrée, lorsqu’on entre et ressort.
Il faut dire aussi qu’on a eu une grosse frayeur lorsque j’étais à Tokyo.
Le lundi dans la journée, après le dimanche en famille, mon copain a appelé pour dire qu’il allait s’isoler dans un business hôtel ayant 38° de fièvre. C’est finalement passé après quelques jours, mais je suis rentrée plus tôt que prévu à Hiroshima sans le revoir entre temps. Ça a ensuite été le tour de sa mère. Heureusement, elle aussi s’est rétablie depuis.
L’ambiance dans la ville
Je n’y suis pas allée depuis un moment, mais tous les événements à venir (Flower Festival, Matsuri Tōkasan, etc) sont annulés, et d’après les photos que postent les amis sur les réseaux sociaux, ça semble bien morne et désert. Les gens sortant sans masque sont désormais très rares.
Les amis qui tiennent des bars et des restaurants sont à l’agonie financièrement. Ils sont très en colère contre Abe et son gouvernement qui ne semblent guère proposer d’aide pour remédier à l’effondrement des chiffres d’affaire de ce secteur. D’un côté ils ne leur imposent pas de fermer mais de l’autre ils demandent à leur clientèle de cesser de fréquenter leurs établissements.
Beaucoup proposent maintenant les repas à emporter (→ liste non exhaustive de restaurants proposant ce service, Kisuke) , mais c’est impossible pour les bars.
Ça crée de grosses tensions dans ce secteur. J’en parlais ici :
https://twitter.com/JudiDesignJapan/status/1246085514723131392?s=20
D’une manière générale, je n’ai jamais vu les Japonais aussi énervés, aussi politisés sur les réseaux sociaux. C’est évidemment un constat qui se limite à mon entourage (qui compte quelques vieux musiciens qu’on pourrait qualifier de hippies gauchistes :D) et aux personnes que j’ai décidé de suivre. Une observation que j’admets donc biaisée. Cependant, je remarque que même les gens qui habituellement ne donnent pas trop leur avis se sont mis à partager des articles de presse, des traductions d’articles étrangers, à publier leur opinion. L’emploi de gros mots (bien moins commun que chez nous) s’est aussi généralisé.
Niveau travail
Après un excellent moi de mars, ça ne s’annonce pas folichon pour le mois d’avril. J’ai commencé à prendre du travail (moins bien payé) sur les plateformes de mise en relation freelances – clients.
Je n’ai eu qu’une mission pour le moment mais elle s’est bien déroulée. Cependant, heureusement, j’ai un contrat fixe avec une agence qui me paie quoiqu’il se passe (même les mois où ils n’ont rien à me proposer) et qui assure la moitié du chiffre d’affaire que je vise chaque mois.
Je ne suis donc pas trop inquiète à ce niveau-là, et en restant à la maison je dépense moins aussi. Je pense donc m’en sortir.
Les petites anecdotes « fun »
C’est l’explosion de Zoom au Japon (cette application qui permet de faire des visio-conférences).
L’équivalent de l’apéro Skype c’est la Zoom nomikai ici !
Ma prof de yoga a aussi essayé d’organiser un cours sur Zoom et c’était… folklo…
https://twitter.com/JudiDesignJapan/status/1248450913259237376?s=20
Enfin, j’avais envie de finir sur cette campagne de sensibilisation à la distanciation sociale vraiment géniale.
Conclusion
Encore rien de dramatique ici, mais on rigole moins qu’y a un mois c’est sûr.
Sur ce, je vous souhaite tous plein de courage pour la suite de ce confinement et de cette période étrange. Je vous souhaite de rester en bonne santé aussi et de réussir à trouver des moments pour rire et apprécier les petites choses.
Photos principalement prises à Tokyo dans le quartier de Yoyogi et à l’aéroport Haneda avec un Fujifilm x-t2 et un objectif 56mm f1.2
PS : Comme vous l’avez certainement remarqué, j’ai installé un système de publicité sur mon blog. J’ai décidé d’essayer ça parce que les tarifs de mon hébergeur ont augmenté et que depuis des années entre l’hébergement, le nom de domaine, le template, les plug-ins, le temps passé à écrire ou à prendre des photos, je n’ai jamais touché un centime avec ce blog. Malheureusement ça m’en coûte pas mal.
Cependant, vu que ces publicités sont plutôt gênantes et ne rapportent que des miettes (même pas de quoi rembourser l’hébergement chaque mois), il est possible que je supprime tout mais en attendant, je vous demande d’être clément et patient.
Ninineji
avril 14, 2020
Pour Tokyo, les grandes zones urbaines sont vides mais c’est pas le cas des quartiers résidentiels. Mais vers chez moi, la plupart des gens sont dehors pour faire leurs courses en tout cas.
Et en ce qui concerne les japonais énervés sur les réseaux sociaux… C’est vrai que de mon côté j’ai plus de personnes qui critiquent ouvertement récemment. J’ai pas mal d’amies avec qui par le passé j’ai vite fait discuté politique et on n’est jamais allé trop en détail parce que c’est un sujet qui leur plaît pas du tout. Mais ces derniers temps, je les vois retweeté des commentaires assez acerbes ou même dire publiquement sur leur twitter ce qu’elles pensent d’Abe ou du gouvernement en ce moment. ça me fait tout drôle. XD Après comme on se disait sur twitter, à voir si ça prendra une réelle forme passé la crise sanitaire mais c’est quand même super intéressant à voir.
Bon courage pour le travail et tous ce qui va autour.
Judith Cotelle
avril 14, 2020
Merci pour les précisions !
Bon courage à toi aussi !
chris
avril 23, 2020
Bonjour,
Bon courage pour les jours qui suivent…
En France il y a une grande usure due au confinement et beaucoup d’expectatives sur le futur : la vie post confinement, le travail, les loisirs etc…
Haha je devais aller au Japon pile en avril, mon voyage est donc reporté sine die.
🙂 Ici c’est le grand boom de zoom aussi… Au moins pour le privé (entre amis) et les écoles de langues – mon école de japonais poursuis ses cours par zoom. Je crois que ce logiciel est assez bien fait et permet d’afficher des documents, ce qui est assez pratique pour un cours.
Concernant le travail on s’est mis à skype entreprise après divers tâtonnements (comme un groupe pro whatsapp et un hang out vite délaissé). Cela fonctionne bien malgré des conversations parasites de d’autres réunions venues d’on ne sait où… C’est assez rigolo.
Un ami au Japon faisait le même constat que ninineji (il travaille notamment dans un restaurant) : dans les « quartiers touristiques » c’est assez désert mais dans les quartiers résidentiels, beaucoup de gens sont dans les rues. Les parcs sont pris d’assaut, notamment par les familles.
Le take out de son restaurant fonctionne bien et tout le stock est vendu le midi.
Judith Cotelle
avril 24, 2020
Merci pour ton commentaire !
En ce qui concerne la négligence des consignes, j’ai l’impression que ça concerne surtout Tokyo. Je sais pas comment ça se passe dans les autres villes de la taille d’Hiroshima, mais dans mon quartier (résidentiel) et du côté de la gare c’est totalement désert. Ces jours-ci j’ai aussi eu quelques potes (japonais) travaillant dans la restauration dans le centre et d’autres quartiers, sur Line ou au tel, et ils faisaient le même constat. Une copine se moquait d’ailleurs de Tokyo en disant que les gens là-bas faisaient n’importe quoi. (Et je précise qu’elle a rien contre Tokyo. Elle y a vécu une dizaine d’années et son mari est Tokyoïte).
Le soir, la police fait même des rondes pour éviter le cambriolage des commerces fermés.
La seule exception, c’est les salarymans travaillant encore qui vont manger le midi dans les rares restaurants encore ouverts.
Depuis que j’ai écrit l’article, une mesure pour aider financièrement les petits commerces a été mise en place dans la préfecture, tout le monde a donc fermé dès le lendemain (le 22) et au moins jusqu’au 6 mai. Certains restent ouverts pour le take-out seulement.
Bon courage à toi aussi !