Le Tokasan (とうかさん大祭)
S’il est un matsuri à ne manquer sous aucun prétexte à Hiroshima, c’est sans hésitation le Tokasan. Organisé le premier week-end de juin durant 3 jours, c’est l’un des 3 matsuri les plus importants de la ville et surtout le plus populaire d’entre tous. Je l’attends moi-même chaque année avec impatience.
Il annonce le début de la période estivale et tout ce que cette saison évoque au Japon : yukata, uchiwa, kakigori, feux d’artifice, katori buta, plages et barbecues… une période féerique pour ceux qui parviennent comme moi à s’accommoder de la chaleur et l’humidité.
Tous en yukata (浴衣)
C’est l’un des éléments majeurs de ce matsuri : hommes et femmes, enfants et personnes âgées, locaux et étrangers, tout le monde est invité à s’y rendre en yukata, une version light du kimono.
Avec Ayaka, qui a récemment rejoint l’équipe Nininbaori et GetHiroshima, on s’est rendu dans un salon de coiffure pour se faire habiller.
Oui, parce que n’allez pas croire qu’on enfile ça comme un simple peignoir ! La seule fois où j’ai tenté de m’habiller seule, je ressemblais plus à un vieux sac à patate abandonné ou à une forcenée échappée de l’asile en camisole qu’à autre chose. Il se trouve en plus que je devais rejoindre la belle famille de l’époque au resto ce soir-là. Dans la hâte et la panique, évidemment, pas eu le temps de me coiffer. Je suis arrivée ébouriffée et toute dépenaillée, suant comme un porc. Inutile de vous préciser que mon plan visant à impressionner et faire bonne image a lamentablement échoué.
Depuis je m’en remets humblement aux amies ou aux pros. Cette année, c’est une mamie bien rigolote parlant un dialecte d’Hiroshima à couper au couteau qui s’est occupée de moi.
Il est assez courant de collectionner les yukata mais comme vous pouvez le constater dans ces vieux articles, je porte la même en 2011, en 2008 et en fait chaque année (ou presque, j’en possède une rouge à motifs « lapin » que je n’ai portée qu’une fois).

Ayaka et moi en yukata devant le temple Enryuji

à Shintenchi Koen

L’une des mamies du « gang » dont je parlerai plus tard

sur l’avenue Chuo-dori

Le obi d’Ayaka
Des rues animées et des yatai
J’ai toujours adoré les yatai (屋台) : stands de nourriture et jeux de rue pendant les matsuri. C’est coloré, ça donne une ambiance de kermesse ou de guinguette à la ville. Cependant je n’y achète jamais rien. Ça ne me fait rarement envie et j’ai entendu des rumeurs (non confirmées, mais venant de personnes dans la restauration) selon lesquelles la nourriture n’y serait pas conservée dans les meilleures conditions d’hygiène, voire limite avariée… La dernière fois que je me suis laissé tenter, j’ai fait une intoxication alimentaire assez terrible, mais c’était peut-être juste dû au fait qu’un stand d’huîtres se trouvait à proximité.

Des cagettes en guise de tabouret aux abords du parc Shintenchi

Le long de la rue commerçante couverte Ebisu-dori

les tekiya
Vous noterez l’air patibulaire des 2 vieux derrière leur stand (celui caché derrière la petite fille fumait tranquillement sa clop !).
Oui, on appelle les forains qui tiennent les stands de matsuri « tekiya » (的屋) et ils sont souvent liés au milieu des yakuzas, ne serait-ce que pour se faire attribuer un emplacement. En tapant テキ屋 dans Google, le 2e résultat qui sort est « quelle est la différence entre les tekiya et les yakuzas » ! C’est pour dire ! Ils ont souvent été considérés comme des charlatans au cours de l’histoire et ça vaudrait le coup de leur consacrer un article entier, mais ce n’est pas mon but aujourd’hui.
Toutefois, observez bien leurs visages la prochaine fois que vous déambulerez dans un matsuri, vous remarquerez sans doute leurs gueules cassées et leur attitude qui tranche avec celle généralement plus retenue du citoyen japonais lambda.

à l’aise, au fourneaux la clop au bec

Sur la droite, un stand d’Hiroshima Shiru nashi Tantanmen, une spécialité locale assez récente de nouilles épicées

Les pommes d’amour japonaises

la foule entre l’avenue Chuo-dori et le parc Shintenchi
Le temple Enryuji (圓隆寺)
Ce temple qui date de 1619 est à l’origine de ce matsuri, mais il est plus connu sous le nom de Tōkasan. Le festival quant à lui a commencé à être célébré en 1620. Il était autrefois organisé plus tard dans le mois, mais en 1961, les commerçants ont fait pression pour avancer sa date, se plaignant que la saison des pluies (梅雨 tsuyu) de mi-juin nuisait à leurs affaires. Haha, et oui, dès qu’il est question d’argent, on est tout de suite moins regardant sur le respect des sacro-saintes traditions !

Temple Enryuji, plus connu sous le nom de Tokasan

La lanterne Mobil
Au Japon, on sait maquiller l’aspect mercantile sous les fards de la tradition. L’énorme lanterne suspendue n’est autre qu’un panneau publicitaire géant pour la station essence Mobil ! Il en va de même pour les petites lanternes rouges : ce sont des offrandes pour le temple certes, mais elles servent aussi (surtout ?) à faire la publicité de l’entreprise dont le nom est inscrit à côté de la somme donnée.

Les lanternes, sous l’aspect traditionnel, de simples panneaux publicitaires
Avec Ayaka, on a eu la flemme de faire la queue pour aller se faire bénir, acheter une divination (おみくじ omikuji) ou un éventail (うちわ uchiwa) et on a préféré aller au parc Shintenchi, là où tout se passe vraiment pendant ce matsuri.
Le parc Shintenchi kōen (新天地公園)
Un parc qui prend une autre allure pendant le Tokasan

Shintenchi Koen

Le parc Shintenchi à la nuit tombée
Bien que ce square soit extrêmement laid, sale et mal famé* en tant normal, il devient un lieu incontournable et joyeusement animé pendant le Tokasan.
(*On y croise principalement des chats galeux, des corbeaux, des junkies, des vieux avec leur saké One Cup ou des jeunes solitaires buvant leur cannette de bière, et des pensionnaires du centre de réinsertion pour les détenus fraîchement sortis de prison qui se trouve juste à côté, plus de briques que de verdure et des pissotières puantes. Désolée de briser vos rêves de Japon idyllique.)
Un mini sanctuaire Shinto
Chaque année avant le début des festivités à lieu une cérémonie dans ce tout petit sanctuaire shinto ( 紅桃花稲荷大明神).
Des spectacles de danse
On peut assister à des spectacles de danse sur l’avenue Chuo-dori (中央通り) et sur le square Shintenchi.
Le gang des mamies
Ce sont elles les stars de ce matsuri ! Ce sont ces mêmes mamies (enfin j’imagine qu’à une époque elles ont dû être jeunes) qui depuis de longues années mènent la danse le soir venu. On sent qu’elles ont attendu ça toute l’année, et donnent tout ce jour-là.

les mamies duTokasan Matsuri

Elle rigolent, elles sont dans la place (au sens propre, comme au figuré)

Elles font des potins

Elles réajustent leurs tenues de gala

Checkent les derniers détails avant d’entrer en piste pour les Bon-odori
Les bon-odori (盆踊り)
Malgré ce que le nom peut laisser penser et ce qui est écrit dans l’article wikipédia en anglais, les danses Bon-odori ne se pratiquent pas uniquement pendant le festival O-bon du mois d’août. Ce sont des danses folkloriques très anciennes dont l’origine reste incertaine mais dont les premiers témoignages écrits datent de la période Muromachi (1333-1573). Elles sont liées au bouddhisme, au culte des morts mais aussi à l’agriculture. Il me semble d’ailleurs que, comme dans les danses indiennes, les gestes miment la semence, les récoltes, etc.

Le gang des mamies lance les Bon-Odori
Ce qui est rigolo, c’est que tout le monde peut se joindre à la danse. Oui, même moi j’ai essayé ! Deux pépés sont venus m’encourager et me donner des conseils en Hiroshima-ben tout le long ! Cette année, le samedi soir, les étrangers (occidentaux et asiatiques) étaient particulièrement nombreux et j’ai été surprise par leur maîtrise des pas de danse.

Remarquerez-vous l’intru ? (Un mec complètement chéper en short rouge)
La foule qui danse le Bon-odori
FUN FACT : les Bon-odori étaient à une époque l’occasion de se laisser aller à la débauche ! (oui, oui, il n’était pas rare que ça se termine en partouze ou qu’on y pratique allègrement l’adultère) source
La tour rouge et la vedette du festival : Issei Minami

Issei Minami (南一誠), la vedette incontournable du Tokasan Matsuri
C’est un chanteur d’enka local, qui rappelle un peu Frank Michael (le One Direction des mémés françaises). Chaque année, il donne deux représentations par soir, le vendredi et le samedi, du haut du yagura (櫓 la tour centrale où un vieillard joue du tambour taiko pendant les danses) et il est acclamé par la foule. Il chante évidemment son tube Hiroshima Tengoku (広島天国 Hiroshima, le paradis) et termine immanquablement par l’hymne des Carp (l’équipe de baseball d’Hiroshima) que tout le monde reprend en cœur.
J’ai honte de vous avouer ça, mais à chaque fois qu’il entonne les premières notes d’Hiroshima Tengoku, je suis obligée de retenir une petite larme d’émotion. On sent tellement le public s’enflammer !
Cette année, il a salué la présence des nombreux étrangers et même fait une dédicace à Brian, un jeune Irlandais qui a vécu 5 ans à Hiroshima et avec qui il s’était récemment lié d’amitié.

Des lampions décoratifs qui font aussi la pub de la bière Asahi

le yagura (櫓) emblématique des danses folkloriques de matsuri

Issei Minami, la vedette d’Hiroshima
Les personnages
Si vous vous baladez dans les rues d’Hiroshima vous les croiserez forcément. Le premier en tous cas : Hiroshima Tarō (広島太郎), un clochard célèbre, toujours accompagné de ses peluches de personnages d’animé.

Hiroshima Tarō

Un mélange original : yukata, T-shirt des Carp et chapeau de paille

Lui je l’appelle Pépé Matsuri (ou pépé rouflaquettes, c’est comme vous préférez)

un gros hug avec Pépé Matsuri
Voilà, j’espère vous avoir donné envie de vous y rendre l’année prochaine ! Comme je vous l’ai dit, c’est un matsuri qui me tient à cœur et qui est tout à fait représentatif de l’esprit et de l’ambiance d’Hiroshima.
Et pour finir, un peu de vidéo et de musique !
Une vidéo de Jack Henry (un résident d’Hiroshima) qui retranscrit tellement bien l’ambiance de la ville pendant ce matsuri :
Hiroshima Tokasan Festival 2017 from Jack Henry on Vimeo.
Shigematsu Hirano : Donpan bushi, un morceau des années 50 qu’on entend beaucoup pendant les danses Bon-odori du Tokasan Matsuri.
Et je ne peux pas vous laisser filer avant que vous ayez écouté le tube d’Issei Minami : Hiroshima Tengoku (Hiroshima le paradis) 南一誠 広島天国
Quelques liens
Le Tokasan Matsuri sur GetHiroshima [EN]
Pour être au courant des dates : GetHiroshima
Noemi-Curpizon
juin 19, 2017
Je tombe sur ton article par hasard, je te suis sur Twitter. J’aime beaucoup, c’est très documenté et on s’y croirait. Hiroshima est de loin ma ville préférée au Japon, j’avais adoré l’ambiance.
Super chouette en tout cas !
Judith Cotelle
juin 19, 2017
Merci beaucoup pour ton commentaire !
Parfois j’aurais envie de renter encore plus dans les détails (cette fois-ci sur les tekiya ou ces fameuses histoires de partouzes !) mais après ça fait des articles trop longs que personne ne finit 😛
En tous cas, ravie que ça t’ait plu !
Jeremy
juin 19, 2017
Tu geres avec tes articles, t’arrives vraiment a transmettre l’ambiance !
N’empeche le truc qui m’avait le plus decu a mon arrivee au Japon, c’etait qu’il n’y a quasiment pas de street food par rapport au reste de l’Asie. Mais les matsuri permettent tout l’ete d’avoir sa dose et c’est cool. (Meme si ton histoire de viande avariee me fait reflechir un peu lol)
Judith Cotelle
juin 23, 2017
Merci beaucoup ! En effet, la street food et les terrasses qui animent les rues du reste de l’Asie manque un peu au Japon. Après je pense pas qu’il ne soit besoin de s’inquiéter trop pour les yatai, s’il y avait vraiment de gros soucis on en entendrait parler plus souvent.
Damien
juin 20, 2017
Merci pour ce bel article, qui effectivement me donne envie d’y aller l’année prochaine!! 😀
(j’en profite pour encore te remercier pour ton article sur Futabanosato, je suis allé m’y promener mi-mai, c’était vraiment beau, intéressant, et à l’écart de la foule, parfait 🙂 ).
A chaque visite d’Hiroshima, j’aime un peu plus cette ville (et la région du Chugoku qui est de loin ma préférée du Japon, et que je trouve d’ailleurs sous-estimée au niveau touristique, tant elle regorge de merveilles!), et tes articles ajoutent encore plus d’amour pour Hiroshima!!
Judith Cotelle
juin 23, 2017
Merci ! Ca me fait plaisir de savoir que mes articles servent réellement à ceux qui viennent visiter la région ! J’aimerais publier plus d’articles de ce genre, mais je trouve rarement le temps d’aller visiter les jolis coins (enfin c’est plutôt que je ne trouve pas la motivation d’y aller seule, mon copain et la plupart de mes amis travaillant le week-end).
Pour la région Chugoku, tu as raison, elle est sous-estimée parce qu’elle n’a pas encore su se mettre en valeur je pense. Mais dans mon agence, nous sommes actuellement en charge de la direction artistique d’une vidéo de promotion pour la région, j’espère que ça donnera envie aux voyageurs de la découvrir !
Olivier
juin 21, 2017
Waouh j’ai adoré lire cet article on s’y croyait !!! Les lanternes, lampions, les couleurs des yukatas, les sourires, tout invite à la fête ! Par contre, moi qui croyais que la street food était hyper clean au Japon, ça me fait un peu réfléchir (suis-je trop naïf sur le sujet ?)… tout comme le fait de donner 100 yens pour une innocente pêche aux canards sans penser une seconde que ça arrive dans les poches de la mafia locale…
Judith Cotelle
juin 23, 2017
Merci, ton commentaire me fait vraiment plaisir ! C’est vraiment ce que j’essaie de faire, retranscrire une ambiance plutôt que de ne donner que des infos pratiques. Après pas la peine de s’inquiéter plus que ça pour l’hygiène, je pense que la barre est haute au Japon en général, et elle l’est juste un peu moins au niveau des yatai. Pour l’argent qui part dans les poches des yakuzas en revanche, on n’y peut pas grand chose et ça arrive certainement plus souvent qu’on ne le pense.
David - LeJapon.fr
juin 27, 2017
Super article, et j’ai adoooré la vidéo !
Judith Cotelle
juin 27, 2017
Merci beaucoup !!
Oui j’aime aussi beaucoup l’ambiance de la vidéo ! Même s’il me semble que Jack ne s’est mis à la vidéo que récemment, c’est toujours mieux que ce que j’aurais fait avec mes pauvres rushs 😀
Marilyn
juillet 21, 2017
Magnifique ! Même les mamies sont belles, ça donne envie d’aller au Japon,
❤️
Judith Cotelle
juillet 22, 2017
Oui, et elles peuvent être sacrément rigolotes ! 😀
Cécile
juillet 26, 2017
Je te lis souvent mais commente rarement 😉
Je viens de recevoir pendant deux semaine un ami de Hiroshima à la maison et je lui montre ton blog 😉
Et là il me dit que Issei Minami est son cousin XD
Si ça ce n’est pas la preuve que le monde est petit 😉
Judith Cotelle
juillet 27, 2017
Aaah ! trop marrant ! 😀 il ne se doutait peut-être pas que son cousin avait plein de « fans » étrangers ici ?
Cécile
juillet 27, 2017
Non je ne pense pas 😉
Apparemment, je suis aussi attendue à Hiroshima maintenant. 😉 Faudra que j’aille écouter Issei Minami ! (et puis surtout manger des okonomiyaki :p)