Le Gracieux ouvrant au mois de juin prochain un restaurant de cuisine washoku plutôt haut de gamme (和食 cuisine traditionnelle japonaise), il essaie depuis quelques temps d’affiner ses connaissances en saké (ou 日本酒 nihonshu), puisque c’est l’alcool qu’il sera amené à servir le plus. (Enfin ça c’est le prétexte officiel..)
C’est pourquoi dimanche dernier, nous nous sommes rendus à Miyoshi, dans le cul du loup de la Préfecture d’Hiroshima, pour la journée portes ouvertes* de la brasserie de saké Miwa Sakura (美和桜). Comme vous l’aurez deviné, ça a encore été une journée épique… (un peu comme celle au Saké Matsuri de Saijo en octobre dernier)
* J’ai dit « journée portes ouvertes » mais le terme exact est kurabiraki (蔵開き) : c’est la 1ère ouverture de la cave (蔵 kura) de l’année. Si vous ne connaissez pas les différentes étapes de la fabrication du saké (酒造り sakedzukuri), c’est assez bien expliqué sur ce site. En ce moment, c’est la saison où vient de se terminer l’étape de la cuisson du riz. On sort les paniers de cuisson à vapeur (甑 koshiki) des grands chaudrons, pour les laver. Cette étape s’appelle koshikidaoshi (甑倒し). Et la journée portes ouvertes de la brasserie (酒造 shuzō) avait lieu le lendemain de celle-ci.
Le départ et le trajet en bus
Comme on fait toujours tout à l’envers avec le Gracieux (vous vous souvenez de notre week-end de winners au onsen), forcément, on a été flambant dès le départ.
Le rendez-vous devant le bus était prévu à 8h40 (oui, un dimanche matin, alors qu’il était rentré du boulot vers 5h00) et forcément, pour une raison mystérieuse, notre réveil n’a sonné qu’à 8h30 ! Sachant qu’il nous faudrait pas loin de 10 minutes en taxi pour se rendre sur le lieu du rassemblement, c’était plus que tendu du slip..
Bref, branle-bas de combat, panique générale. On a crié des « yabai ! yabai ! » (ça craint !, c’est chaud !) en faisant des moulinets dans tous les sens, trébuchant l’un sur l’autre et se cognant contre les murs sans que ça ne nous rende plus efficace, mais le Gracieux a réussi l’exploit de se-brosser-les-dents-tout-en-pissant-tout-en-appelant-le-taxi. (Et il a bien d’autres cordes à son arc, comme chanter le thème de la Panthère Rose en miaulement de chat, par exemple).
Nos échanges sont vite devenus incohérents :
– c’est bon, qu’est-ce que tu fais ?? on y va là !!
– mais je vais pas y aller en culotte !
– on s’en fout, c’est mort, on a plus le temps, tu mettras mon manteau par-dessus !
On est donc arrivé super girigiri mais on a réussi à monter dans le bus, un bus archi plein d’ailleurs (toute la rangée de strapontins était occupée, pas sûre que ce soit bien règlementaire tout ça..). Manon, qui fait actuellement un stage chez nous, à Nininbaori, nous attendait, un peu perplexe, au milieu de tous ces pépés japonais hilares… Oui, parce que la moyenne d’âge des participants était plutôt.. enfin vous voyez.
Malgré ce que pourrait laisser croire la photo ci-dessus, il ne s’agissait pas d’une sortie organisée par l’amicale des vétérans communistes d’Hiroshima, mais simplement d’une partie collective de pierre-feuille-ciseaux (ou jankenpoi en japonais). Ce jeu, extrêmement populaire au Japon, est utilisé dès qu’il faut faire un choix, départager des gens, désigner des gagnants, etc.. (oui, même chez les gens d’un certain âge adultes).
Comme pour tout bon trajet en bus organisé au Japon, nous avions un « MC », chargé de parler non-stop dans le micro. Et 2h de trajet en comptant les pauses, je peux vous assurer que ça fait long et que vous avez envie de le lui faire avaler, son micro. Haaa ça, c’est leur passion les speechs au Japon.. Même lorsque le discours n’a pas été prévu à l’avance, ils ont une capacité à parler de longues minutes, sans hésitation, avec une aisance qui m’impressionne toujours. Même chose lorsque 2 personnes se disputent et que l’une prend la parole pour déballer tout son sac.
Et comme pour toute bonne sortie / journée de congé en terre nippone, l’alcool s’est mis a couler à flot dès que le bus avait démarré… (Si vous êtes déjà monté dans un shinkansen au Japon, ce petit « clic – pshhh » typique de la cannette de bière qu’ouvrent en cœur tous les salaryman dès qu’il montent à bord, a sans doute attiré votre attention).
Ils ont commencé par faire tourner des palettes de cannettes de bière Asahi, puis, quelques minutes plus tard à peine, ils nous ont envoyé les bouteilles de saké Miwa Sakura avec des petits gobelets. C’était très convivial. On a tout de suite fait connaissance avec nos voisins. (Faut dire qu’avec une telle promiscuité…)
On a commencé par un Miwa Sakura Junmai. (純米 junmai : saké brassé avec seulement du riz, de l’eau filtrée et de l’enzyme koji)
Puis on a continué avec un Miwa Sakura Tokubetsu Junmai (cuvée spéciale). 16 à 17°, 60% de riz poli.
Arrivée sur le « Domaine » Miwa Sakura
Oui, c’est un peu comme un « domaine » viticole (c’est pas moi qui le dis, mais la boutique d’alcool qui organisait la sortie) puisque le riz et le saké sont produits sur le même lieu, ce qui ne semble pas être forcément le cas partout.
Comme c’était une journée spéciale (kurabiraki), et que la récolte du riz, ainsi que le saké, sont étroitement liés avec la religion Shinto, un matsuri était organisé dans la cour de la brasserie : Yatai (stands de nourriture sur le pouce), grandes tablées sous des tentes, cagettes en guise de chaises, ambiance guillerette et populaire et spectacles de danses et musiques traditionnelles.
Yubai-chan nous a rejoint directement après une nuit blanche, mais à son âge, on a encore la forme.. Comme moi, Manon s’est beaucoup interrogée sur le « concept » de sa coupe de cheveux, qui change d’ailleurs de couleur toutes les 2 ou 3 semaines (en blond, il a eu bien trop de souci avec les flics. Car, oui, au Japon, blond, est associé avec l’image de « petite frappe »…)
La guinguette
Les 4000¥ que l’on a payé pour participer à cette journée comprenaient le transport, l’alcool à volonté sur certains stands et un carnet de tickets de valeurs de 100¥ chacun pour s’acheter à manger ou à boire (d’autres catégories de saké ou d’alcools). Nous avons commencé par un bol de udon.
Alors ces deux-là, ils étaient ronds comme des queues de pelles dès 11h du mat.. obligés de s’appuyer l’un sur l’autre pour tenir debout. Ils sont venus nous accoster, Manon et moi, pour nous parler dans un langage incompréhensible : « Cccc c’est bieeen na.. nana… nazzzzzudo… do…. rovié que quRRTGS que ça se dit dans vôt’ langue bonjuuuur ? ». En gros, il nous avaient pris pour des Russes.. Après ça, ils ont essayé d’ouvrir une porte imaginaire dans un mur.. on les a laissé se débrouiller et on s’est esquivé pour retrouver le Gracieux et Yubai-chan sous les tentes..
Alors eux.. ils étaient magnifiques. Ça picolait sec à leur table, mais ils arrivaient a garder une prestance et une classe extraordinaires.
Hyottoko no odori, la danse des ivrognes
Alors que tout le monde était déjà dans un état bien avancé, a commencé un spectacle (ou même un pestacle) surréaliste : la danse des Hyottoko (ひょっとこの踊り Hyottoko no odori) sur un simple son répétitif de petite cloche.
Il s’agit d’une danse humoristique traditionnelle Shinto (田楽 dengaku, danses souvent liées à la plantation du riz) datant de l‘ère Muromachi (1333-1573).
La femme en kimono représente une femme ordinaire et joyeuse (おかめ okamé ou おたふく otafuku). Les hommes aux masques difformes et couverts d’un fichu blanc à pois ou carreaux bleus sont des hyottoko (ひょっとこ, 火男). Le renard, quant à lui, est un messager des dieux. Les hyottoko sont amoureux de l’okame, c’est pourquoi ils la poursuivent, mais celle-ci préfère accompagner le renard.
C’est une danse sacrée qui permet aussi de « purifier » un lieu, d’en éloigner les mauvais sorts.
Leur déhanché était fabuleux. C’était super entraînant. Je n’ai pas pensé à filmer à ce moment mais si vous voulez voir à quoi ça ressemble, vous pouvez regarder cette vidéo sur Youtube (mais les nôtres étaient beaucoup plus funky et énergiques !) ou sinon apprendre les pas de danse avec ce monsieur bien comique malgré lui !
On se serait quasiment cru dans un clip d’Aphex Twin..
La visite de la brasserie de saké Miwa Sakura
On a ensuite eu droit à une visite guidée et commentée de la brasserie.
Je vais vous avouer qu’à ce stade-là de la journée, ça devenait difficile de rester attentif aux explications. Mais ce j’ai retenu, c’est que le saké est composé à 80% d’eau et qu’ainsi, la saveur de l’alcool produit, dépend largement de la qualité et de dureté de l’eau utilisée. Les sols de la région étant principalement composés de granite, l’eau y est très peu calcaire et donc douce, ce qui fait que les sakés d’Hiroshima sont plutôt doux, voire sucrés.
Au cours de la visite, on pouvait déguster 3 sortes de saké, ou plutôt un saké à 3 stades différents de sa fabrication (si j’ai bien compris), servis dans des petits gobelets. Dans un but pédagogique bien sûr :).. mais là, un vieux qui n’avait pas du tout suivi la visite, a déboulé avec une énorme tasse, les mains tremblantes, pour se la faire remplir et est reparti aussi sec…
On s’est ensuite calé en bord de rivière (en biais) avec de quoi boire et grignoter pour admirer le pestacle.
Cette pauvre jeune fille en a bavé. Un pépé (qu’elle ne se semblait pas connaître) s’est posé juste devant elle, puis s’est carrément assis à ses pieds en la regardant de manière un peu lubrique. On sentait clairement le mal aise de la petite.
Les personnages
A partir de là, on a commencé à passer dans une autre dimension, et on a découvert plein de personnages et figures locales…
Le Gracieux et Yubai-chan ont quand même réussi à lui faire avaler qu’ils étaient français eux aussi… c’est dire le degré de lucidité (ou de crédulité en général des Japonais)… « Wow, mais vous parlez tous vraiment bien japonais ! »
En parlant de Yasser Arafat, il est arrivé une histoire complètement loufoque à une connaissance du Gracieux, un vieux rasta barbu (japonais) et aux cheveux grisonnants (que j’ai déjà rencontré moi aussi, lorsque je faisais mon reportage sur la scène reggae d’Hiroshima). Il venait d’emménager dans un petit village du côté de Kure, et un matin, les flics ont sonné à sa porte pour vérifier son identité. Il avait été dénoncé par les mamies du voisinage qui l’avaient pris pour Ben Laden.. C’est à l’époque où il était activement recherché. C’est pas énorme ?!!!
Partage en vrille, danses folles et lion mangeur de têtes
Bon, et à partir de là, on était plus dans un clip d’Aphex Twin mais carrément dans un tableau de Jérôme Bosch..
Là on a le pépé stalker de la petite au tambour, le Yasser Arafat, le faux Antonio Inoki, tous partis dans une danse endiablée…
Comme si les gens n’étaient pas déjà suffisamment excités, il a fallu qu’un gros lion en laine apparaisse… On appelle ça shishimai (獅子舞 la danse du lion), une tradition d’origine chinoise.
Non, ils ne sont pas tous devenus complètement timbrés, c’est juste que se faire « manger » la tête par le lion porte bonheur.
Bon, là ça commençait vraiment à partir en vrille.. On a dit se faire manger la tête !, pas essayer de fourrer sa vieille nouille.. enfin bref, heureusement, le bus du retour est arrivé.. à 14h, c’était vraiment court, on a rien vu passer. Je pensais avoir le temps de m’appliquer un peu plus sur mes photos, mais non..
Retour et marché sur l’aire d’autoroute
On est donc remonté dans le bus et l’autre s’est remis direct au micro pour faire le bilan de la journée…
On a ensuite eu droit à 1h de pause sur une aire d’autoroute en pleine campagne. Un petit stand, prévu rien que pour les participants de ce « saké tour » proposait gratuitement une soupe à base de lie de saké, de carotte et konyaku. C’était assez aigre et un peu sucré. J’ai trouvé ça infâme.. Déjà que le konyaku et moi, ce n’est pas une histoire d’amour..
Le prix des légumes était assez intéressant. Les garçons en ont profité pour faire des amplettes pour leurs restaurants.
Puis on est remonté dans le bus et là, c’était un concert de bulles et de ronflements…
Le saké Miwa Sakura
On s’est ramené une bouteille « cuvée spéciale », apparemment difficile à trouver dans le commerce.
Je laisse le petit mot de la fin à Senbei aka Juvenile Handclapper sur Instagram (Tokyo, vin et saké) ou encore LoveLifeRegrets sur Twitter, afin qu’il nous livre sa critique du saké Miwa Sakura. (Parce que si c’est moi qui m’en charge, ça risque de se limiter à j’aime / j’aime pas, fruité / sucré / sec / un léger arôme de réglisse, donc je préfère laisser parler l’expert)
美和桜 純米吟醸, Miwa Sakura junmaiginjō cru. pref. d’Hiroshima. Pas mal d’arômes fermentaires, quoique ça reste très propre, pas sauvage. Catégorie de nihonshu qui ont du caractère, du genre qui remplit la bouche, pas de l’eau sucrée. Relativement puissant sans être saoulant. Le genre qui prévient en s’excusant avant de te mettre une patate. C’est un beau nihonshu d’accompagnement sur une joue de porc à la moutarde jaune, ou une chiffonnade d’herbes (chingensaï, saasaï ou komatsuna) au shoyu ou au bacon. Beaucoup d’arômes, fine acidité, mais plutôt dans le fruité.
Vous pouvez trouver d’autres photos de cette journée ici.
Si vous voulez en savoir plus sur les différents types de saké, c’est ici.
CClemon4.2
mars 22, 2016
Chère Jud,
J’ai lu ton article avec la banane du début à la fin…. Merci du partage une nouvelle fois.
Je ne peux que t’encourager modestement à continuer de partager tes -super- tranches de vie avec nous…
J’adore <3
Judith Cotelle
mars 22, 2016
Merci beaucoup !
Ça fait toujours plaisir de recevoir des encouragements parce que (pour une raison qui m’échappe) les gens commentent très rarement mon blog.. Donc dur de savoir ce qu’ils en pensent .
pfelelep28
mars 23, 2016
Salut,
Comme d’hab j’ai adoré ton article, et le ton/style avec lequel tu l’écris. Au naturel… En général je n’écris pas de commentaire mais si ça peut t’encourager à continuer alors j’essayerai de le faire.
Perso, « le vieux en bob » me fait un peu pensé à shinzo abe souriant…
bonne continuation et à bientôt
Judith Cotelle
mars 23, 2016
Merci pour le commentaire !
Ben oui, il ne faut pas hésiter à en laisser, ça fait plaisir, ça donne envie de continuer, c’est toujours sympa de savoir un peu qui nous lit et ce qu’ils en pensent !
Ophélie
mars 23, 2016
Hello Jud !
J’ai découvert ton blog via ton twitter et je ne regrette pas d’avoir cliqué ! Idem qu’au dessus, merci du partage, cela me donne un peu de lumière dans mon triste ciel Lillois… J’adore les tranche de vie comme présent ici, le quotidien, la vraie vie des gens qui me sont inconnus mais que j’ai l’impression de connaître grâce à toi.
Je ne laisse jamais de commentaire (plutôt du genre à être en sous-marin sur les Réseaux sociaux), mais vraiment, continue de nous faire rêver comme tu le fais, chaque jour.
Encore merci !
Judith Cotelle
mars 23, 2016
Merci beaucoup ! C’est toujours très agréable d’avoir des retours des gens qui lisent et apprécient les articles !
Emma
mars 30, 2016
Ce que j’ai ri! Une vraie tranche de vie! Et merci car grace a toi (et à Olivia) j’ai quelques adresses a me mettre sous la dent lors de ma venue a Hiroshima en Avril.
Judith Cotelle
mars 30, 2016
Merci !
On a tellement ri nous aussi ! tant mieux si j’ai réussi à transmettre un peu de l’ambiance qui régnait sur place !
Tu es une amie d’Olivia et Barnabé ? Bienvenue à Hiroshima alors !