Le week-end dernier, comme un plan chez une copine était tombé à l’eau, je comptais prendre le train pour aller visiter un village ou une île dans la région. Mais j’ai finalement décidé d’aller explorer une partie de la ville que je ne connaissais pas. Et je n’ai même pas eu à m’éloigner beaucoup de chez moi puisque ce lieu se trouve dans l’arrondissement est d’Hiroshima où j’ai récemment emménagé.
Il s’agit de la promenade historique Futabanosato (二葉の里歴史の散歩道) et je n’ai pas regretté du tout mon choix.
Sur mon chemin, j’ai fait de drôles de rencontres : d’étranges statues, des grenouilles, une tortue, un bœuf, des pruniers en fleur, des ema (絵馬), des omikuji (おみくじ), de nombreux temples bouddhistes et sanctuaires shinto, des torii (鳥居), des komainu (狛犬), des dieux du bonheur, de splendides toitures japonaises, des cimetières, et j’ai pu admirer un panorama de la ville à couper le souffle depuis les hauteurs d’Hiroshima.
J’ai aussi traversé des quartiers dont même les noms m’étaient inconnus et suis passé devant des petits commerces aux vitrines désuètes, de vieilles demeures traditionnelles, délabrées ou au contraire opulentes, des immeubles austères, et des maisons d’architecte d’une modernité flambante.
Comme quoi, nul besoin d’aller toujours très loin pour s’évader et faire des découvertes intéressantes. Peu de blabla aujourd’hui, je vous fais visiter en image en m’attachant plus aux petits détails – où comme on le sait, réside bien souvent la beauté – qu’aux vues d’ensemble.
Le temple Saizō-ji (才蔵寺)

Kani Saizō (1554 – 1613), samouraï de l’époque des provinces en guerre

Miso Jizo devant ses offrandes
J’ai enfourché mon vélo et commencé mon parcours par un tout petit temple perché à flan de colline, dans le quartier d’Higashiyama-chō : le Saizō-ji. Cette statuette étant la représentation de la divinité Miso Jizō, les fidèles viennent lui offrir des sachets de… miso.
Le temple Shōkō-ji (聖光寺)
Après une petite erreur de trajet, qui m’a menée près d’un square où des petits garçons se disputaient violemment en se traitant de menteurs, j’ai repris la route jusqu’au temple Shōkō-ji, dont l’enceinte est assez vaste et plutôt dépouillée. Mais là encore, je ne vous monterai que les petits détails insolites qui ont attiré mon attention.
Des statues aux expressions étranges

celui qui épiait

celui qui savait tout

le vieux rasta qui s’en moquait

celui à qui on aurait bien mis une tarte, juste comme ça

celui qui était bien d’humeur à mettre des mandales, justement

celui qui s’en branlait mais grave

et celui qui était passé sous le burin quand le sculpteur fatiguait un peu ou qu’il avait fumé de l’ergot de seigle…

des statues jizo, pareilles à elles-mêmes
Des pruniers
Bien que le cerisier en fleur soit l’emblème du Japon, je trouve les pruniers qui éclosent en février tout aussi sublimes. Leurs teintes blanches ou roses égayent un peu les paysages plutôt tristes de la fin d’hiver qui s’attarde. Les quelques flocons de neige qui tombaient à ce moment-là, m’ont donné l’impression d’admirer une estampe vivante.

pruniers en fleur
Un tanuki qui veille sur des grenouilles

voilà le tanuki

D’abord une grenouille…

Puis trois…

Puis sept…

des dizaines…

des centaines !
Quelle est donc la signification de ces « grenouilles de bénitier » que l’on rencontre souvent dans les temples et sanctuaires ?
Grenouille se dit kaeru en japonais et s’écrit 蛙. Et les homonymes de ce mot étant nombreux : 変える transformer, 帰る rentrer, 返る rendre, 替える échanger, 代える remplacer, etc, le mot se prête facilement aux jeux de mots. En ajoutant ces verbes ou simplement le son « kaeru » au kanji inscrit sur la statuette, on obtient un verbe composé ou une expression de bonne augure.
Exemple : 読 « yomi » : « lire » + son « kaeru » (qui une fois lié se lit « gaeru ») = yomigaeru (蘇る) : ressusciter.

une tortue
Une cloche et des déesses

vue sur le mont Futabayama et le nord-est du centre-ville depuis le beffroi
Le temple Kokuzen-ji (國前寺)
Des ema et un joli toit
Après avoir passé le portail gardé par Ungyō et son compère Agyō, rouges de colère comme à leur habitude, je suis allée voir du côté du bassin de purification (le chōzuya) sur lequel veillait un dragon et quelques poulets…

des ema à l’effigie du coq
En effet, selon l’horoscope chinois, également utilisé au Japon, 2017 est l’année du coq, ce qui explique pourquoi ces plaquettes votives en sont décorées.
Je ne sais pas ce qui se tramait dans le bâtiment principal de ce temple, mais des grappes de gens (non japonais, indiens peut-être ?) en sortaient les unes après les autres.

toit du bassin de purification
Le sanctuaire Onaga Tenmangu (尾長天満宮)
Ce sanctuaire situé à flan de montagne surplombe la ville qui s’étend et s’approche inexorablement. Le quartier de la gare, qui a pour ambition de devenir le second centre d’activité d’Hiroshima, se construit à une vitesse folle, et c’est là que s’érigent désormais les plus grandes tours de la ville. Le contraste entre le paysage urbain et profane et ce petit havre de paix sacré, juste à la lisière de la forêt est assez saisissant, poétique même. On essaie d’imaginer ce lieu autrefois isolé en pleine zone rurale et offrant une vue portant jusqu’à la baie d’Hiroshima située 3 km au sud.
Comme au temple Saizō-ji, j’ai croisé une dame qui priait avec une ferveur rare, saluant chaque statue, se recueillant devant chaque autel, exécutant méticuleusement tout le protocole, et récitant même des mantras devant le haiden (ouverture principale de la partie la plus sacrée d’un sanctuaire, où l’on trouve souvent une cloche et une boîte à offrandes). Si vous voulez en savoir plus sur tout ça, je vous dirige vers cet article de l’excellent blog de Joranne.
On a coutume de présenter les Japonais comme assez peu croyants et de penser qu’ils ne se rendent au temple ou au sanctuaire que par tradition ou en simples touristes, mais les Japonais pratiquants existent aussi, la preuve ! Cependant, et je me trompe peut-être, ce peuple étant plutôt pragmatique, je soupçonne en général les fidèles faisant preuve d’un tel zèle, de vivre un moment difficile et d’être venu implorer les divinités par désespoir.
On ne cesse non plus de nous rappeler à quel point les Japonais sont honnêtes et respectueux, mais c’est justement dans ce sanctuaire, situé près du lycée que fréquentait le Gracieux, qu’un de ses amis allait régulièrement dérober les pièces de la boîte à offrande la nuit venue (!).

komainu

Torii de pierre

un boeuf

des pruniers roses

et des pruniers blancs

Les omikuji et les grandes tours de la ville à l’horizon
On peut se lamenter sur la disparition des charmes d’une époque lointaine et révolue, ou bien se laisser emporter par la poésie des haies du sanctuaire bordées de pruniers et de portiques à omikuji, derniers remparts avant le gris du béton et de l’acier.

ema à l’effigie de Sugawara no Michizane
C’est au lettré, poète, calligraphe et homme politique de l’époque Heian, Sugawara no Michizane, déifié depuis, qu’est dédié ce sanctuaire, c’est donc lui qui en illustre les ema.

Un torii à la frontière entre la ville et la forêt
Ce petit torii marque littéralement l’entrée de la forêt. J’ai voulu emprunter cet étroit sentier que l’on voit sur la photo, pensant qu’il menait à un autre pavillon du sanctuaire situé un peu plus haut, mais j’ai vite rebroussé chemin, effrayée par des bruits suspects de pas dans les fourrés, de branches qui craquent et de cailloux qui tombent.
Bon en fait, ce n’était que des oiseaux qui s’ébrouaient dans les arbres, mais mon côté rationnel et mon esprit cartésien me lâchant totalement dans ce genre de situation, j’ai imaginé un violeur ou un tengu (va savoir…) m’épiant derrière les buissons.
Voilà, ça ressemblait plus à ça une fois mes esprits revenus.

Jurojin (寿老人), dieu de la longue vie et l’un des 7 dieux du bonheur

toit du portail d’entrée d’Onaga Tenmangu
La pagode de la paix du mont Futabayama (仏舎利塔 bussharitō)
J’ai achevé ma promenade avec une longue marche jusqu’à la Pagode de la Paix, cette tour argentée que l’on aperçoit depuis la gare Shinkansen d’Hiroshima.

Un masque étrange au temple Myōhō-ji (妙法寺)
Si vous entreprenez d’y monter, je vous conseille plutôt de passer par le chemin de montagne et l’enfilade de torii qui partent du sanctuaire Kinko Inari. (J’avais essayé de le faire il y a 3 ans, mais seule ce jour-là aussi, j’ai commencé à avoir les chocottes en pleine forêt, peu rassurée par le fait de savoir que des sangliers y rôdaient en cette saison, et lorsque j’ai fini par tomber nez à nez (ou nez à dard, plutôt) avec un énorme frelon, ç’en était trop, j’ai redévalé en trombe le chemin en sens inverse. Oui, je ne suis pas ce qu’on peut appeler une grande aventurière…).

Détails du toit du temple Shoko-ji (正広寺) attenant au cimetière
Pleine de courage et décidée à aller jusqu’au bout cette fois-ci, j’ai fini par atteindre un immense cimetière tout en pente avec des escaliers ultra raides, mais depuis lesquels la vue valait vraiment la peine.

Vue sur Hiroshima depuis le cimetière du Mont Futabayama
Je vous laisse méditer sur la ressemblance perturbante entre les pierres tombales et les gratte-ciels de la ville…

Vue depuis le sommet et la pagode de la Paix
Sur la droite, juste au dessus de l’arbre, c’est l’île de Miyajima qu’on aperçoit et au milieu près de la tour, l’île de Kanawajima, que j’avais présentée dans cet article.
Les journées étant courtes en cette saison et la faim me tiraillant, j’ai décidé de rentrer après cette étape. Nous verrons donc la suite la prochaine fois, dans la 2e partie de cet article et dans la 3e et dernière, publiée tardivement.
Alors, si comme la plupart des touristes vous ne faites qu’une halte de 2 jours à Hiroshima, cette visite ne sera certainement pas à mettre dans votre liste de lieux à visiter à tout prix, je vous conseille plutôt Mitaki, mais si vous y tenez quand même, voici quelques liens pour vous aider :
- Carte en anglais du parcours / Explications complémentaires
- Un article publié sur GetHiroshima mag aux page 14 et 15
- Un article sur la Peace Pagoda
Nuitori
février 14, 2017
Superbe article qui donne très envie de partir à la découverte de Hiroshima en musardant.
Vos photos sont très belles notamment celles de la vue depuis le cimetière.
J’aime beaucoup la manière dont vous présentez Hiroshima.
Un grand merci pour ce partage.
Judith Cotelle
février 15, 2017
Merci beaucoup !
Neji_Olivia
février 14, 2017
C’était vraiment un très bon article !
Une grosse envie de partir visiter Hiroshima et les photos sont très belles surtout celles à la fin avec une partie du toit et la vue sur Hiroshima.
Judith Cotelle
février 15, 2017
Merci ! J’espère te voir ici un jour !
Damien
février 15, 2017
J’ai découvert aujourd’hui ton site, un peu par hasard… et quel bonheur!
Je suis tombé amoureux d’Hiroshima lors d’un premier voyage au Japon en 2012. Ville à taille humaine, gens souriants et accueillants, une ville verte, etc… ce fut un coup de cœur (sans parler des okonomiyaki, c’est comme une drogue 🙂 ) . J’y suis retourné à chacun de mes voyages au Japon, en 2013 et 2016, et j’y retourne en mai cette année. Et cette fois, je voulais aller dans des endroits moins « touristiques », ayant fait le tour des sites principaux et alentours de la ville. Alors merci pour cet article qui donne envie! J’attends la 2ème partie avec hâte 🙂 !
D’ici là, je vais dévorer tous tes articles, qui m’inspireront encore plus pour explorer les lieux méconnus de cette superbe ville.
Judith Cotelle
février 15, 2017
Bienvenue et merci beaucoup pour ton commentaire !
Oui, je pense qu’Hiroshima est plus une ville qui se vit, notamment en passant du temps avec les habitants, qu’une ville qui se visite, même s’il y a plein de petites choses à découvrir en fouillant un peu !