Alors autant vous le dire tout de suite, ce n’est pas par sa taille que la Hiroshima Orizuru Tower vous impressionnera. Mais ce n’est pas plus mal après tout. Autant se démarquer de manière élégante plutôt que de jouer au « concours de la plus grosse » comme semblent le faire les grandes villes d’Asie depuis quelques années. Car oui, comme vous le savez peut-être, c’est en Chine et aux Émirats (les pays un peu bling-bling quoi) qu’on trouve la majorité des plus hauts gratte-ciels du monde. Mais le Japon n’est pas en reste non plus puisqu’il détient actuellement le record de la plus grande tour avec sa Skytree, qui culmine à 634m.
Je fais ma mauvaise langue, mais soyons honnêtes, à Hiroshima on aime bien crâner un peu aussi de temps en temps. C’est chez nous que se trouve désormais la plus grande tour* des régions Chugoku, Shikoku et Kyushu réunies : la City Tower Hiroshima (193m et 52 étages). (* 最高層 saikōsō : hauteur structurelle au-dessus du sol, bâtiments de télé etc exclus)
Mais alors, qu’a-t-elle de si intéressant, cette nouvelle tour ? Et bien déjà, c’est l’œuvre d’Hiroshi Sambuichi (三分一博志), un jeune architecte de renommée internationale, qui fait un peu le buzz dans le monde de l’architecture ces dernières années, et dont le travail original à été récompensé par de nombreux prix. Et en plus c’est un gars du coin ! Oui, ses bureaux se trouvent à Hiroshima. Le reste, je vous en parlerai dans cet article, alors suivez-moi !
Vue panoramique sur Hiroshima depuis l’observatoire du 13e étage
Et oui, elle ne fait que 50m et 13 étages. J’avoue d’ailleurs m’être un peu moquée au départ, me demandant ce qu’on pourrait bien voir de son observatoire à part de pauvres toits d’immeubles, et j’avais bien tort.
Située en plein cœur d’Hiroshima, juste aux abords du Parc de la Paix, la tour permet aussi bien observer les monuments phares de la ville que d’admirer les montagnes environnantes à l’horizon. Je n’imaginais pas le centre d’Hiroshima aussi vert et j’ai trouvé le contraste entre les nombreuses rivières qui traversent la ville, les monts bleutés en arrière-plan et cette architecture urbaine typique des grandes villes japonaises, c’est-à-dire aussi chaotique que laide (soyons objectifs, ça n’interdit pas de lui trouver un certain charme) assez saisissant. Il faut dire que le ciel bleu vif et dégagé, exceptionnel pour une journée en pleine saison des pluies, y était sûrement pour quelque chose.
Il parait qu’on peut même apercevoir le Mont Misen de l’île de Miyajima par temps dégagé.
Comme vous l’aurez remarqué sur mes photos, il y a quand même un détail gênant : ces filets de protection. Ceci-dit, à l’œil nu, on les remarque à peine.
Des choix architecturaux intéressants
On peut aimer ou non l’esthétique de cet espace tout en pentes, dénivelés et colonnes – j’avoue avoir moi-même du mal à me décider – mais je trouve que ces lignes épurées, minimalistes (dont le côté froid est compensé par l’utilisation de matériaux naturels comme le bois de teck), et ces proportions qui accentuent les lignes horizontales tout en rappelant le format 16:9 du cinéma, mettent particulièrement bien en valeur le paysage. Elles donnent une impression de largeur, de grandeur et d’ouverture, que, paradoxalement, on n’aurait sans doute pas eue sans ce toit, permettant ainsi d’oublier le lieu dans lequel on se trouve pour se laisser complètement absorber dans la contemplation de la vue.
J’aime aussi l’emploi astucieux sur la face est, de miroirs qu’on ne remarque pas immédiatement et qui créent, en trompe-l’œil, un panorama à 360° tout en cachant le côté le plus laid et inintéressant de la ville. Je suppose que ce mur a également pour fonction de couper la lumière du jour, amplifiant ainsi la luminosité et les couleurs vives de l’extérieur grâce au contraste créé par l’obscurité de l’intérieur.
Ce ne sont que mes hypothèses, n’ayant pu trouver d’informations sur les intentions de l’architecte. Tout ce que je sais du concept de cette tour, c’est qu’ils souhaitaient créer un bâtiment plein d’ouvertures, capable de se fondre dans son environnement pour diminuer le sentiment d’oppression provoqué par la présence du Genbaku Dome dans cette partie de la ville.
Si vous souhaitez en savoir plus sur Hiroshi Sambuichi, je vous propose une sélection de liens vers des articles intéressants en bas de page.
Spiral slope : la descente en spirale
La partie est du bâtiment est elle aussi très originale. On peut bien évidemment emprunter les ascenseurs pour redescendre, mais c’est beaucoup plus amusant de passer par la « spiral slope », une pente de forme hélicoïdale (ou en colimaçon si vous préférez) qui vous permettra d’atteindre le rez-de-chaussée en parcourant une distance de 450m (pour un bâtiment de 50m de haut) et ce, avec un minimum de marches d’escaliers. Mais le plus rigolo est encore de descendre en toboggan ! Je ne l’ai pas essayé parce que j’avais plein de choses à porter, mais les salaryman et OL (office lady ou salaryman au féminin) que j’ai vu s’y élancer étaient excités comme des mômes à Disney Land (oui, je sais il leur en faut peu) et partculièrement surpris par le côté abrupte de la pente.
Ce toboggan est en réalité une issue de secours, et il faut marcher 2 ou 3 pas entre chaque niveau, mais ça reste amusant.
Un bâtiment écologique
Comme pour ses autres projets, l’architecte Hiroshi Sambuichi a conçu la Hiroshima Orizuru Tower en faisant en sorte de réduire son impact sur l’environnement, tant d’un point de vue écologique qu’esthétique.
La tour a été construite en utilisant la structure de l’ancien immeuble Mazda qui se trouvait là, plutôt qu’en le détruisant complètement pour le remplacer (c’est Mazda Hiroshima qui a commandé cet édifice). Une opération qui a permis de réduire les émissions de CO2 de 57%.
La conception ingénieuse de ses nombreuses ouvertures permettent également de faire circuler l’air et de profiter au maximum des pouvoirs rafraîchissants du vent et de l’ombre, réduisant ainsi les coûts liés à l’utilisation de la climatisation et les émissions de CO2 de 33%.
Un concept autour de la grue origami qu’on découvre au 12e étage : le workshop space
Cet espace situé au 12e étage s’appelle « Orizuru hiroba » (おりづる広場 la place de la grue origami). Vous devez savoir que cet oiseau de papier plié est devenu le symbole du Parc de la Paix d’Hiroshima après la destruction de la ville par la bombe en 1945, notamment grâce à l’histoire de Sadako Sasaki ? Et bien c’est sur l’image et le symbole de cet origami que se base le concept de la tour Orizuru. Son logo représente une spirale de grues multicolores.
On peut y confectionner des origami de grue à l’aide du personnel qui parle parfaitement bien anglais, jouer à lancer des feux d’artifice en forme de grue sur un écran ou même réaliser un origami virtuel façon Wii. On peut aussi observer l’évolution de la ville en 3D, de 1945 à nos jours, sur un écran interactif.
Je crois vous avoir déjà dit que je n’étais pas très douée en travaux manuels, et ça s’est confirmé une fois de plus. Ma grue ne ressemblait PAS DU TOUT à celles que l’on peut voir ci-dessus et j’ai apprécié la patience de la jeune femme du staff qui était presque obligée de me parler comme à une débile, tellement j’y pigeais rien (c’était en anglais en plus et je suis persuadée que ses explications étaient très claires).
Lancé de grues
Mais on peut aussi jeter son origami du 12e étage dans le mur à grues, participant ainsi à la création collective d’un énorme mur rempli de grues multicolores. Je trouve l’idée d’un bâtiment dont l’apparence évolue au fil du temps intéressante, mais un peu dommage qu’il faille débourser 500¥ pour cela (nous reviendrons sur les tarifs plus tard). Les grues qui ne sont pas lancées sont collectées dans les urnes et recyclées en papier à origami.
Alors avec mon boss et Paul (le rédacteur-en-chef de GetHiroshima), nous avons voulu tenter l’expérience. Pour cela, il faut monter sur une plaque de verre qui vous laisse voir les 12 étages sous vos pieds et aucun de nous n’était très rassuré. Je veux pas faire ma chochotte, mais je dois vous avouer que c’est complètement flippant !
Si vous venez pour prendre des photos, je vous conseille de le faire depuis cet étage, à travers les grandes baies vitrées, bien moins gênantes que les filets de la plateforme d’observation.
Le rez-de-chaussée : omiyage et café un brin hipster
Au rez-de chaussée se trouve un magasin d’omiyage (souvenirs) plutôt chic qui propose des produits locaux : nourritures et boissons d’Hiroshima ou en provenance des régions voisines, papeterie, produits cosmétiques (les fameux pinceaux de Kumano), bijoux, jouets…
Le café Akushu / Park Side
On ne s’est pas arrêté au café, mais sa carte à l’air intéressante et les prix ne sont pas excessifs contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre :
- À manger : Chips artisanales avec une grande variété de sauces, Fish & Chips de la région de Setouchi (koiwashi : petites sardines de la région, poulpe, congre, huîtres d’Hiroshima, poisson blanc de saison), Okos (Okonomiyaki-sticks), Donburi (bols de riz avec de la garniture dessus), salades et desserts.
- Les boissons : cafés, thés, smoothies, floats (boisson avec une boule de glace comme le cream melon soda), boissons aux agrumes de la région, bières, vins, saké et umeshu (liqueur de prune) locaux.
Sachez que vous pouvez prendre à emporter et consommer sur la plateforme d’observation !
Beaucoup de soin et de goût ont été apportés au design et à la décoration de ce lieu à l’atmosphère très relaxante. J’ai eu un gros coup de cœur pour les luminaires en papier et les mobiles en forme de grues.
Infos pratiques
Les tarifs pour accéder aux 12e et 13e étages
Ils sont excessifs et c’est le principal, sinon le seul défaut de ce nouveau lieu : Adultes 1700¥, collégiens et lycéens 900¥, écoliers 700¥ et moins de 4 ans 500¥.
+ 500¥ pour lancer une grue (600 si vous ne vous décidez qu’une fois en haut).
Horaires
De 10 à 21h (jusqu’au 22 septembre 2016)
Le site
Vous trouverez une version française (traduite avec les pieds) et malheureusement bien moins complète que la version japonaise : www.orizurutower.jp
Articles sur l’architecte Hiroshi Sambuichi ou ses projets
Hiroshi Sambuichi’s Innate Connection With Earth (avec une interview)
Hiroshi Sambuichi: Deeply rooted tradition
Base Valley House in Japan by Hiroshi Sambuichi
Treasure island: two new buildings alight on an art paradise in the Seto Inland Sea
Enfin, je vous conseille de consulter l’article de Paul (qui m’a devancée de quelques heures dans la publication de son article) http://gethiroshima.com/features/orizuru-tower/. Vous y trouverez des informations complémentaires, des réflexions intéressantes et des explications sur Hiroshima Mazda et son historique, ses implications dans la ville et ce projet, thème que je n’ai pas abordé dans mon article, mais aussi des photos prises de différents points de vue.
Ah ! et au fait, avant que j’y aille, vous vous demandez peut-être ce qu’il y a du 2e au 11e étage ? et bien des bureaux et espaces de conférence très luxueux, avec terrasses. Voilà, bye !
寝坊したネジ
juillet 16, 2016
Joli article! et ça donne vraiment envie d’aller voir cette tour. J’aime énormément l’esthétisme et, selon tes explications, les choix pris. Pour les prix, c’est très cher,en effet. Cependant, je me demande si c’est pas du même acabit pour la Tokyo Tower/Skytree.
Judith Cotelle
juillet 16, 2016
Merci !
Oui je crois que la Skytree est même encore plus chère mais que ce soit l’une ou l’autre, je trouve ces tarifs un peu rédhibitoires « juste » pour accéder à un bâtiment. Les Japonais sont peut-être habitués mais pour touristes étrangers ça doit faire un peu mal…
Joranne
juillet 18, 2016
J’arrive un peu tard, j’avais pas encore lu l’article. Très chouette bâtiment en tout cas, j’adore le concept avec les grues en papier.
mikaoioi
août 23, 2016
Sympa comme tout cet article !
Tu dis « nouvelle tour », elle date de quand ? Elle n’était pas là en 2015 j’imagine ?
(non parce que si elle y était, je vais aller consulter parce que je l’ai pas vue !)
Effectivement je trouve ca un peu cher pour accéder au bâtiment… mais architecturalement parlant (design et matériaux), ca a l’air vraiment cool.
Judith Cotelle
août 23, 2016
Merci pour ton commentaire !
Mon intro était tellement longue que je crois que j’ai dû couper cette partie par inadvertance : non en effet, elle n’a été ouverte au public que le 11 juillet 2016. Je ne sais pas quand les travaux ont pris fin exactement, mais si tu es passé en 2015 ils devaient déjà avoir commencé. Il y a avait déjà un bâtiment à cet endroit avant, et ils ont construit la tour sans le détruire.
mikaoioi
août 23, 2016
OK je vois, du coup j’ai repris mes photos et effectivement il y avait bien un bâtiment couvert en travaux 🙂
Merci pour l’info ! (et elle était très bien ton intro)