Suiko, graffeur japonais internationalement reconnu, made in Hiroshima
Vous ne connaissez peut-être pas son nom mais il est possible que vous soyez déjà passé devant l’une de ses gigantesques fresques, à Hiroshima, dans d’autres grandes villes du Japon ou même à l’étranger (n’hésitez pas à jeter un coup d’œil à son impressionant portfolio). Aujourd’hui, je vais vous présenter Suiko, un graffeur d’Hiroshima (ou Street Artist, artiste urbain, comme vous préférez), aussi talentueux que prolifique.
Sans se connaître très bien, on a déjà eu l’occasion de se croiser à plusieurs reprises : dans des soirées, par le biais d’amis communs, ou bien lorsque j’ai accompagné quelqu’un souhaitant lui proposer un projet de vidéo, pour l’instant en stand by. Comme j’avais envie d’en savoir plus, je suis allée le rencontrer dans son QG : Dimlight, situé dans le centre d’Hiroshima.
Présentation de l’artiste
Basé à Hiroshima, Suiko est l’une des figures principales de la scène Street Art au Japon et sa renommée est désormais internationale.
Il a pris le pseudo « Suiko » à l’époque où il achevait son 3ème cycle d’Arts Plastiques, à l’Université Municipale d’Hiroshima. Visant déjà une carrière internationale, il a choisi un nom à consonance japonaise, qui puisse aussi bien fonctionner pour un homme que pour une femme. Le mot vient de 酔狂 (suikyō : caprice, lubie, excentricité) qui reflète bien sa permanente envie de faire les choses à sa manière, comme il l’entend.
En 2005, il a participé à X-color, une grande exposition sur le Graffiti qui se tenait à l’Art Tower Mito (dans la préfecture d’Ibaraki). C’est à partir de là qu’il a commencé à être invité fréquemment à l’étranger (USA, Allemagne, France, Royaume-Uni, Brésil, Israël, Turquie, Grèce, Népal, Inde, Tahiti, Australie, Chine, Hong-Kong, Corée…) pour participer à des expositions, des projets, des sessions de Live Painting, ou collaborer avec d’autres artistes urbains.
Il n’a alors pas tardé à être repéré par de grandes marques telles que Coca-Cola pour qui il a customisé des bouteilles de Dr Pepper, Walt Disney, Adidas pour une campagne publicitaire à Shanghai, ou encore Eckō Unltd. pour qui il a designé des ceintures, des casques audio, des casquettes, des tongs, New Era pour des casquettes ou encore NumLock pour des montres.
Bien qu’il ait débuté sur les murs, il s’exprime aussi sur d’autres supports, comme les toiles ou les planches de bois, et pas uniquement à la bombe mais aussi à l’acrylique. Il crée des visuels pour vêtements, casquettes, baskets, planches de skate, montres, accessoires, etc, aussi bien pour sa propre marque Dimlight qu’en collaboration avec d’autres marques.
Son style aux couleurs vives, aérien et fluide, est assez facilement reconnaissable. Les éléments qu’on y retrouve le plus souvent sont les lettrages, les nuages, les bulles, les effets chromés et les animaux.
Les débuts de Suiko dans le graff et la reconnaissance
Dès son enfance, il a toujours passé beaucoup de temps à peindre ou dessiner mais c’est il y a environ 15 ans, aux alentours des années 2000, qu’il s’est vraiment mis au graff. Attiré depuis toujours par la Street Culture – qui réunit de nombreuses disciplines telles que le hip-hop, le rap, la breakdance, la mode, certains sports, etc – c’est avant tout par le graffiti qu’il avait envie de s’exprimer. Ne sachant au départ comment vraiment accéder à cet univers, il s’est d’abord mis au skate et en c’est en arpentant les rues et fréquentant les skateparks qu’il a fini par mettre un pied dedans et faire les bonnes rencontres.
Sa première grosse commande est venue de Walt Disney, vers 2007-2008. Il est un peu tombé des nues quand il a reçu ce long mail officiel écrit tout en anglais. C’est une de ses collaborations dont il est le plus fier, ou plutôt celle qui l’a le plus marqué, certainement parce que c’était la première d’une telle envergure.
On lui a commandé des toiles pour l’expo Disney à Los Angeles, et un visuel pour des casquettes, des vêtements et planches de skate de la marque de Streetwear BLOC28 by Disney.
C’est à ce moment-là qu’il s’est enfin senti vraiment reconnu dans ce qu’il faisait.
Et maintenant, as-tu d’autres projets, d’autres ambitions ?
À la base, tout ce que je n’ai pas encore fait est potentiellement intéressant et excitant. Je ne m’impose aucune limite. J’ai commencé sur les murs, mais maintenant, je crée beaucoup de visuels pour des vêtements, je conçois des figurines. J’ai envie de pousser encore plus loin les collaborations avec des artistes issus d’autres domaines créatifs, comme la vidéo ou l’architecture. Je couvre des murs de plus en plus grands (n.d.l.r : il doit monter sur une grue) et je pense que ça va devenir difficile de faire encore plus grand, donc la prochaine étape, ce serait de concevoir un bâtiment de A à Z, à l’aide d’un architecte. Depuis tout petit, j’ai toujours été attiré par les choses gigantesques.
Rien d’étonnant à ce qu’il s’intéresse à des artistes comme le Français JR, qui se distingue entre autre, par la taille des ses œuvres, exposées elles aussi sur d’immenses murs partout dans le monde.
Ressens-tu une différence dans la perception, l’acceptation du graff, entre le Japon et l’étranger ?
Je ne reçois pas tellement de demandes du Japon. C’est un art encore assez peu compris, peu considéré ici et rarement pris au sérieux, même si ça évolue, mais très lentement. À l’étranger, on peut rencontrer des gens de tout âge qui s’intéressent au graff, pas seulement des jeunes. On me commande beaucoup de toiles, on me fait participer à des Live Painting. L’hiver dernier, j’ai été invité à Paris pour participer à une performance live à Drouot et les tableaux ont ensuite été vendus aux enchères. J’ai reçu de nouvelles commandes sur place. J’ai été surpris de voir qu’il existait de vrais amateurs d’art, collectionneurs de graff. Au Japon, je doute qu’il y en ait.
Dimlight, du haikyo au shop / Comment Suiko définit-il se lieu ?
Dimlight est un espace très agréable, cosy et très ensoleillé la journée, situé au 3ème étage d’un immeuble assez sombre et crado, au milieu du quartier louche et « olé olé » d’Hiroshima. À l’entrée se trouve un petit coin salon avec table basse et sofa confortable, sur la droite un comptoir avec des platines et au fond une immense étagère murale remplie de bombes multicolores. Des étagères couvertes de baskets, d’accessoires, de casquettes, de magazines, de bouquins d’Art, de CD et vinyles, des penderies avec des t-shirts, des toiles et dessins de Suiko ou d’autres artistes. C’est un peu la caverne d’Ali Baba de la Street Culture. Suiko nous y a reçu avec un bon café, servi dans des tasses qu’il a lui même designées pour la marque Brooklyn Project. J’ai eu envie de lui demandé ce que Dimlight était vraiment, parce que quelque chose me dit que c’est plus qu’un magasin.
Tu as raison, je ne considère pas vraiment Dimlight comme un magasin. Le bâtiment dans lequel il se trouve est un haikyo (廃虚 bâtiment laissé à l’abandon) et en 2009, le proprio m’a proposé de me louer un espace pour que j’y fasse mon studio / atelier. Ce n’était qu’un tas de gravats poussiéreux, mais avec des potes on a arrangé ça, en mode DIY. Petit à petit ça a commencé à prendre forme, à ressembler à quelque chose. L’idée d’en faire un shop ne faisait encore absolument pas partie de mes projets. J’y venais juste pour peindre, et le week-end, des potes, eux aussi dans le milieu du Street Art, venaient me rejoindre pour passer ou faire de la musique, créer, tout en buvant des coups.
Puis un jour j’ai commencé à y entreposer les T-shirts ou les baskets que je designais et les gens ont voulu me les acheter. Ça s’est progressivement transformé en magasin, avec les choses que l’on aimait ou dont on avait nous-mêmes besoin, notamment les bombes qui ne sont pas faciles à trouver à Hiroshima. J’expose et vends aussi le travail de mes potes.
C’est un magasin la semaine, mais un espace communautaire qui réunit tout la scène Street Culture d’Hiroshima le week-end. J’ai ouvert le lieu au public seulement l’année dernière (en 2015).
Les soirées à Dimlight, en quoi ça consiste ?
En fait, ça ressemble plus à des fêtes privées entre potes qu’à de véritables événements publics. On se réunit tout les samedis avec les acteurs de la scène Street ou des gens en lien avec, des amis d’amis. On passe du son, des MC prennent le micro, on discute, on fait des projets, on sert des bières au comptoir. Mais honnêtement, si un inconnu se pointait comme ça, comme s’il arrivait dans un bar, ça serait un peu gênant. Si c’est un mec passionné et qu’il vient se présenter avant, pourquoi pas cependant ! Mais à la base, on est vraiment entre nous.
Il utilise aussi son espace pour loger les graffeurs du monde entier de passage sur Hiroshima, de la même manière que lui est hébergé par des acteurs de la communauté du graff lorsqu’il se déplace à l’étranger.
Dimlight est aussi le lieu que fréquente Zao, un MC d’Hiroshima, qui a récemment posé sa voix sur « Diasporap », un morceau de l’excellent album du Marseillais Dj Djel (fondateur de La Fonky Family) : « Rendez-vous ».
Mon rôle dans l’histoire a consisté à trouver un MC à Hiroshima, et à servir d’intermédiaire, Djel et ZAO n’ayant pas de langue en commun pour communiquer.
Hiroshimarseille en pleine action !
Dj Djel | Le Rythme et la rime feat. Don Choa et Sat
ZAO | 「キリギリスとアリ」 (Kirigirisu to ari)
Le choix de rester à Hiroshima
Un dernier point sur lequel il tenait à insister est le fait qu’il ait choisi de rester à Hiroshima plutôt que de « monter » à Tokyo pour faire carrière comme la plupart des gens. Il n’en ressentait pas particulièrement la nécessité et souhaitait en outre contribuer au rayonnement d’Hiroshima à sa manière, en rendant la scène Street active et dynamique. Ça ne l’empêche pas de passer quasiment plus de temps en vadrouille à l’étranger qu’au Japon, ce qui lui permet de rapporter de nouvelles idées, inspirations et tendances et d’exporter l’esprit d’Hiroshima.
C’est ce qu’il avait toujours rêvé de créer : un lieu où les idées et les cultures se rencontrent.
J’ai aussi écrit cet article en anglais pour GetHiroshima mag Summer 2016 que vous pourrez trouver en papier ou en ligne sur https://issuu.com/gethiroshima/docs/gethiroshima_mag_summer_2016 (page 50)
En 2017, un excellent reportage de 24 min lui a été consacré sur Bloomberg.
Son site : www.suiko1.com
Son shop en ligne
DIMLIGHT – 3F 13-12 Kanayama-cho, Naka-ku, Hiroshima
MW7
juin 02, 2016
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Judith Cotelle
juin 02, 2016
Merci pour ce commentaire bref et concis ! 🙂