Petite update le 16/09/15 pour un nouveau lieu découvert récemment, en bas de l’article
Aujourd’hui je vais vous parler d’une spécialité culinaire d’Hiroshima bien moins connue que l’okonomiyaki et qui mérite pourtant tout autant d’attention tant elle est populaire et appréciée dans la ville. Ce manque de reconnaissance et de notoriété est probablement dû au fait que ce soit un plat censé se consommer très très épicé, ce qui exclue d’emblée une grande partie des gourmets, aussi bien japonais qu’occidentaux.
J’en profiterai par la même occasion pour vous présenter un de mes lieux favoris où déguster ce plat.
Il s’agit donc des tsukemen (つけ麺), littéralement « nouilles à tremper ».
Si vous interrogez les habitants de la ville, beaucoup vous diront que c’est un plat récent, qui manquerait comme un peu d’histoire. Pourtant, les tsukemen sont nées en 1954. Elles ont été servies pour la première fois dans un restaurant nommé 新華園 Shinkaen (toujours présent, dans le quartier de Funairi-machi), à l’époque sous le nom plus générique de 冷麺 reimen (nouilles froides). Elles n’ont définitivement pris leur nom officiel de tsukemen qu’au milieu des années 80.
Ces nouilles ont certes leurs aficionados – comme beaucoup de plats épicés, les tsukemen créent rapidement une addiction – mais elles sont loin de recevoir tout l’amour et la bienveillance dont bénéficie l’okonomiyaki quasiment promu comme l’unique spécialité d’Hiroshima auprès des touristes étrangers. Si vous suivez des habitants de la ville sur Instagram ou Twitter, vous pouvez être certain d’y voir leur plat fétiche exposé avec fierté au minimum une fois par semaine. Je me demande d’ailleurs même si les habitants des autres villes entretiennent un lien aussi affectif et intense avec leur spécialité locale.
Tabelog, un site très connu au Japon, qui répertorie les restaurants du pays et fournit des informations très complètes (adresse, menus, prix, horaires d’ouvertures, type d’ambiance, photos des plats, de l’intérieur et l’extérieur de l’établissement, commentaires des clients, coupons de réduction, etc), ne recense pas moins de 138 enseignes proposant des tsukemen à Hiroshima mais il y en aurait en réalité au moins 300. (Attention, si vous commandez des tsukemen à Tokyo, on vous servira un plat qui n’a absolument rien à voir bien que portant le même nom, à moins que ne soit précisé « tsukemen d’Hiroshima ».)
Les tuskemen c’est quoi ?
Oui, venons en au fait : de quoi s’agit-il exactement ?
Les ingrédients varient d’un établissement à l’autre, mais le principe de base reste le même :
des 中華麺 chuukamen (nouilles chinoises) froides, accompagnées de チャーシュー chaashuu (rondelles de filet de porc rôti, souvent servies avec les ramen, vous en apprendrez plus sur lemanger.fr), de choux bouilli, d’oeuf dur et d’autres légumes croquants (negi, concombre, etc..) que l’on trempe dans un つけダレ tsukedare, sauce composée principalement de 唐辛子 tōgarashi (piment japonais), ラー油 raayu (une huile pimentée chinoise que l’on utilise également dans la sauce pour gyozas), de vinaigre de riz et de sésame.
Comme les ingrédients le suggèrent, la recette est largement inspirée de cuisine chinoise. C’est durant la guerre qu’a été créé la toute première version qui allait évoluer plus tard pour se rapprocher de la recette actuelle.
La recette de ce tsukedare diffère elle aussi d’un restaurant à l’autre. Elle est évidemment tenue secrète et fait la fierté de chaque établissement.
On peut choisir le degré de piment de ses tsukemen, mais chaque établissement possède sa propre échelle, qui peut aller de 1 à 5, 1 à 20 ou même 1 à 100 !
Dans certains restaurants, vous avez droit à une petite récompense si vous êtes assez téméraire pour choisir le niveau le plus élevé. Si vous regardez dans les archives de mon ancien blog, vous pourrez nous voir, Shiho et moi le 7 Juillet 2007, recevant une plaque à colorier et signer, ensuite affichée aux murs de l’établissement.
ちょいちょい家 ChoiChoi-ya
Comme je l’ai dit plus tôt, il existe un nombre incalculable d’enseignes proposant des tsukemen à Hiroshima, mais je vais faire un gros focus sur ChoiChoi-ya puisque c’est le restaurant d’une copine, celle qui m’a justement fait découvrir ce plat : Shiho. En fait non, la toute première fois, c’était quelques jours après être arrivée, c’était avec 3 autres copines, très tard dans la nuit, j’ai même une vidéo.
Elle a ouvert seule ce petit boui-boui en plein coeur de Nagarekawa en 2007 et y travaille 6 jours sur 7 du début de soirée jusqu’à au moins 3h du mat (heure de fermeture officielle) mais souvent jusqu’à 4 ou 5h si la clientèle est encore nombreuse. Elle s’aide parfois de バイト baito (travailleurs occasionnels) le week-end ou en période de rush, mais elle gère principalement son business seule, comme une grande.
Elle tient probablement ça de sa mère qui est elle aussi patronne d’un restaurant de cuisine typique et familiale japonaise dans le nord de la ville, au rez-de-chaussée de sa propre maison, dans le quartier de Nagatsuka, Asaminami-ku : 花遊び Hana asobi.
La clientèle est très variée et pas toujours des plus faciles (je ne parle pas des gars sur la photo ci-dessus qui sont de bons amis à elle), mais Shiho a un caractère bien trempé, c’est une fille très directe, qui n’a pas sa langue dans sa poche, jure comme un charretier avec sa voix rocailleuse à la Janis Joplin (si vous êtes toujours convaincu que les gros mots et jurons n’existent pas en japonais je vous invite à venir faire un tour ici) et sait faire régner la loi dans son établissement. Elle prend seule les commandes, prépare les plats, les sert mais elle se charge aussi de présenter les clients les uns aux autres, de les placer suivant les affinités possibles et anime aussi avec entrain la discussion depuis sa petite cuisine pleine de vapeurs et de fumées où la température doit bien avoisiner les 50° en été.
Un tour en cuisine
C’est ici qu’elle prépare son propre tare dont elle ne m’a donné la recette que de manière évasive et avec une pointe de réticence :
– 鰹節 katsuo bushi : flocons de bonite séchée
– いりこ irico : petits poissons séchés
– 昆布 konbu : algue très vastement utilisée dans la cuisine japonaise
– crevettes séchées
– sauce soja
– fruits
et on n’en saura pas plus…
Elle se tue physiquement : le maniement des énormes poêles en fonte lui causent des douleurs atroces aux poignets, les longues heures debout dans la chaleur, les brûlures, les coupures, les horaires de travail nocturnes souvent suivies d’une sortie en ville pour décompresser…
Elle ne sert pas que des tsukemen mais aussi des yaki-ramen, une spécialité de Fukuoka composée de ramen, porc, fruits de mer et légumes sautés à la poêle, et de nombreux petits plats (des banzai) qu’elle confectionne chaque jour avant l’ouverture.
Pour se renouveler sans cesse, comme beaucoup d’amis qui tiennent des restos, elle consulte régulièrement des magazines ou livres de recettes dédiés à ce type de petits plats.
Ce n’est pas rare qu’un ami ou client ramène un plat à partager entre tous les autres clients. Ce soir-là une délicieuse pastèque.
C’est dans ces passoires individuelles, qui correspondent chacune à un minuteur que sont cuites les nouilles de chaque client.
Depuis son apparition en couverture de GetHiroshima, mais aussi du fait qu’elle soit située en rez-de-chaussée, il n’est pas rare de voir se présenter des clients étrangers (ce soir-là, des Français et des Espagnols). Elle m’avait d’ailleurs appelée en urgence pour venir l’aider à prendre leur commande et leur expliquer comment se dégustent les plats.
La rue est très vivante et Shiho connaît tous les commerçants du coin. Aux étages supérieurs, on trouve de nombreux bars philippins. Chacun s’emprunte des plats et se les rend le jour suivant. La dernière fois, j’ai moi-même pris les restes des gyozas et leur sauce, qu’on n’avait pu finir, du resto chinois d’à côté (餃子センター Gyoza Center). Shiho les connaissant bien, elle a simplement dit qu’elle leur rapporterait les assiettes le lendemain.
Bien que les tsukemen soient assez peu connus, une chaîne de restaurants créée au début des années 2000 a réussi à exporté le plat au delà des frontières du département et même du pays. Il s’agit de ばくだん屋 Bakudan-ya. Ils possèdent près d’une cinquantaine d’établissement, disséminés dans les autres villes du Japon mais également à Taipei, à Bangkok ou en Chine. On peut également trouver leurs kits en supermarché ou en plat tout prêt dans certains konbini.
Voilà, j’espère que vous succomberez sans retenue aux délices des tsukemen lors de votre prochain passage à Hiroshima.
Et vous me direz merci !
Les adresses :
ChoiChoi-ya : U Bldg 1F, 5-25 Nagarekawa-cho, Naka-ku, Hiroshima
Hana Asobi : 3-3-2 Nagatsuka, Asaminami-ku, Hiroshima
Toshi : (j’en avais parlé ici) 6-8 Yagenbori, Windy Yagenbori 1F, Naka-ku, Hiroshima
J’ai découvert le week-end dernier ひこ (Hiko) et je sens que je vais y retourner très souvent : les nouilles sont plus épaisses qu’ailleurs, il me semble bien qu’on m’ait dit qu’elles étaient faites sur place, et le tare est très épais et rouge vif, un délice (Shiho n’aime pas, chez elle le tare est beaucoup plus liquide, moins opaque et moins sucré, mais je peux vous assurer que les fans du tare de chez Hiko sont nombreux). J’ai pris force 15 (alors que chez Shiho je prends 3) et j’ai regretté de ne pas avoir pris 20, comme quoi les échelles n’ont rien à voir d’un lieu à l’autre). Le staff est ultra jeune, le lieu est ouvert jusqu’à 6h du mat. Il servent d’autres plats (ramen, oden entre autre et on m’a dit que tout était très bon).
Tsutsui Bldg 1F, 7-28 Nagarekawa-cho, Naka-ku, Hiroshima (rue en face du Billy The Kid de Nagarekawa)
Quelques photos des plats ici.
S
septembre 14, 2015
Bonjour Judith,
Je lis ton blog depuis quelques temps, ainsi que certains de la nébuleuse dont tu donnes les liens. Tu t’interrogeais récemment sur la question de l’utilité de ton blog alors de retour d’Hiroshima j’y vais de mon petit commentaire pour te donner du baume au coeur et surtout te remercier.
Cet été on a passé 3 nuits à Hiroshima avec un ami. Et grâce à toi on s’est bien marré. Bon pour commencer il me semble qu’on t’a croisé 1 heure à peine après être arrivé. Ca c’est pour le côté fan service. Les augures nous souriaient.
Arrivés le soir on s’est tout de suite baladé du côté de Osuga, n’osant franchir aucun seuil de porte mais bon pas grave l’ambiance était au poil. Quelques bières sur l’un des bras de rivière et tout était parfait.
Le lendemain on a voulu voir Mitaki sous la pluie avec la brume qui recouvrait tout. Au terme d’un voyage picaresque à travers tout Hiroshima on a trouvé porte close (il était tard). Aventuriers sans limites on s’est baladé dans tous les cimetières avoisinant qui sont reliés entre eux par de petits sentiers. Impression de fin du monde à voir Hiroshima s’étendre devant nous sous le crachin. On est alors partis chercher chaleur chez les Nakamura. On y a trouvé un père et une mère qui nous ont séchés puis réchauffés avec des serviettes, de la bière, de l’umeshu, du namero, du « boutashisomaki » (?), une omelette, de la tempura de poisson, des onigiris, ainsi qu’une sorte de mini oden. Après tant de gentillesse on a barboté les coeurs gonflés d’amour au sento du coin recommandé par Nakamura sensei. Je crois qu’ils ont essayé de t’appeler ce soir là.
Outre Miyajima le lendemain a été marqué par la dégustation de tsukemen (merci!), pas celles de ton amie, mais néanmoins très bonnes. Enfin, le dernier jour, obstinés et l’esprit revanchard on est retournés à Mitaki. La brume était là et la pluie aussi. C’était sublime. J’en dis pas plus, mais ça vaut mille bambouseraies kyotoïtes et autres temples bourrés de cars de chinois. En haut de la montagne on a fumé des clopes, le spleen au ventre et le regard au loin.
Je m’épanche comme un jouvenceau et fais passer ce blog pour un tour opérateur mais on tenait à te remercier, pas seulement pour les conseils mais surtout pour l’envie que tu donnes de découvrir Hiroshima. Et merci aussi pour cet autre regard que tu portes sur le Japon, loin de certaines aigreurs d’expat ou obsessions mal digérées.
Bon comme je me suis un peu étalé je sais pas si tout ça a sa place dans les commentaires. Tu décideras toi même.
Plus terre à terre j’avais une question qui concerne ton corps de métier, penses tu que pour un étranger imprimeur offset/letterpress/taille-douce (plus parfois dorure gaufrage) il y ait des opportunités de travail au Japon ? Je m’excuse de la question, mais comme tu as l’air de faire travailler pas mal d’imprimeurs j’aurais aimé avoir ton avis.
Merci encore
Judith Cotelle
septembre 14, 2015
Merci pour ce super commentaire, ça fait vraiment plaisir et je suis contente que vous ayez pu profiter des petits trésors cachés d’Hiroshima ! en effet, j’ai eut un appel de Mister Nakamura y a 1 ou 2 semaines, mais je l’ai vu un peu trop tard pour rappeler, ça devait être lors de votre passage, il m’appelle à chaque fois que des clients français viennent de ma part (enfin par mon blog)!
Pour la question boulot, je ne sais pas, rien est impossible, il faut tenter sa chance ! mais je pense que parler japonais est indispensable, les gens ne parlant vraiment pas anglais dans le milieu de l’imprimerie, peut-être que c’est ton cas ? A priori ils n’ont pas de raison d’avoir besoin d’employer d’étranger ou peut-être pour échanger des techniques ?
Il y a un imprimeur assez rigolo et original avec qui on travaille de temps en temps, quand on a des requêtes un peu spéciales, voici leur site http://www.m-pro4649.net/
S
septembre 21, 2015
Avec retard merci pour le lien et ton avis sur la question pro !
C’était une question de circonstance, à l’issue d’un voyage parfois se demander si ma profession est expatriable. De surcroît si le pays visité est un pays désiré.
Du peu d’expérience que j’ai du savoir faire japonais en matière d’imprimerie je doute fort de ma valeur ajoutée. Que ce soit en dorure ou en gravure j’ai souvent vu une technicité surpassant la mienne ^.^, quelque chose de complexant. Et puis mon japonais se résumant à quelques bafouilles…mais comme tu le dis rien n’est impossible !
En tous cas à travers tes articles sur le graphisme je vois que là bas aussi il y a un regain d’intérêt pour le letterpress et les techniques d’embellissement d’où ma curiosité (et je me demandais si là bas aussi ces savoir faire disparaissaient et étaient l’apanage de quelques rares artisans ?) ; quoiqu’il en soit c’est gentil de m’avoir donné le lien vers ton imprimeur, leur site est cool et très didactique avec tous ses petits schémas.
Je sais pas si tu connais les éditions B42 et leur revue Back Cover mais il y a de cela quelques années ils ont fait un numéro spécial Japon dans le cadre d’un séjour de 4 mois à la résidence Kujoyama. Ils y posaient plein de questions intéressantes sur le graphisme et la typographie nippone, l’histoire du livre de prêt, etc, etc…peut être cela pourra t-il t’intéresser, ils sont assez pointus et pertinents. Voici le lien on ne sait jamais ! http://editions-b42.com/books/back-cover-special-japon-6/
Judith Cotelle
septembre 21, 2015
Non je ne connaissais pas cette revue, merci pour le lien ! ça a l’air cool !
David
septembre 19, 2015
Coucou.
Je crois bien que c’était des tsukemen que j’avais mangé lors de mon passage au Choichoi. De bons souvenirs… 🙂
Judith Cotelle
septembre 21, 2015
Oui c’était certainement ça !